Écoute musicale n°16
Écoute musicale n°16

Écoute musicale n°16

Amis mélomanes, bonjour !

Après la prière et l’Ode à la défunte Reine Mary de Purcell, je vous propose aujourd’hui un autre type de prière, proclamant une ferveur plus personnelle : celle d’Olivier Messiaen (1908-1992) dans la 1ère de ses « Trois petites liturgies » (10’39 ») composée entre 1943 et 1944.
Pour introduire en douceur le style particulier de ce langage, je vous propose le 1er de 8 Préludes pour piano de Messiaen : « La colombe » (2’15 »).
Le fichier ci-dessous comprend l’enchaînement des 2 œuvres (pour l’écouter les yeux fermés…).
« La colombe » par le pianiste Pierre-Laurent Aymard.
« Trois petites Liturgies de la Présence Divine » – 1er Mouvement, par l’ensemble vocal Marcel Couraud, Yvonne et Jeanne Loriod.

Voici un enregistrement plus récent par le grand chef Kent Nagano avec les chœurs et orchestre de Radio-France.

Fichier audio MP3 – version intégrale des 3 mouvements (34’07 ») suivie de la version vidéo sur YouTube :

Vous avez déjà pu écouter des extraits du « Catalogue des oiseaux » évoqué dans « L’écoute musicale n°8 ».
Dans la première Petite liturgie « Antienne de la conversation intérieure », les chants d’oiseaux sont également présents, notamment au début et à la fin, au piano et au célesta, et au violon au milieu.

Le texte de l’antienne, écrit par Messiaen, est assez clair et compréhensible. Toutefois, je vous donne ici le texte complet :

I – Antienne de la conversation intérieure (Dieu présent en nous…)

(A) – Mon Jésus, mon silence,
Restez en moi.
Mon Jésus, mon royaume de silence,
Parlez en moi.
Mon Jésus, nuit d’arc-en-ciel et de silence,
Priez en moi.

Soleil de sang, d’oiseaux,
Mon arc-en-ciel d’amour,
Désert d’amour,
Chantez, lancez l’auréole d’amour,
Mon Amour.
Mon Amour,
Mon Dieu.

(B) – Ce oui qui chante comme un écho de lumière,
Mélodie rouge et mauve en louange du Père,
D’un baiser votre main dépasse le tableau,
Paysage divin, renverse-toi dans l’eau.

Louange de la Gloire à mes ailes de terre,
Mon Dimanche, ma Paix, mon Toujours de lumière,
Que le ciel parle en moi, rire, ange nouveau,
Ne me réveillez pas : c’est le temps de l’oiseau !

L’orchestration est particulière. Elle associe au chœur de femmes (à l’unisson, sauf pour « Mon Dieu », à 3 voix pour l’accord parfait, comme il se doit…), privilégiant les lignes et les phrases soutenues, partie (A), ou scandées, portato, partie centrale (B), un piano très perlé, percussif, comme un chant d’oiseau, seulement doublé à l’octave, accompagné discrètement par un quatuor à cordes, des Ondes Martenot, un vibraphone, un célesta et une maracas. Dans la partie (B), le piano ponctue le chant avec des accords très colorés (Messiaen oblige), un violon solo remplaçant le piano pour le chant d’oiseau. Puis reprise de la partie (A).

Vous pouvez suivre la partition avec un enregistrement de 2008 de l’œuvre complète (les 3 mouvements) avec :
Roger Muraro – Piano ; Valérie Hartmann-Claverie, Ondes Martenot ; Maîtrise de Radio France – Chef de chœur Morgan Jourdain ; Orchestre philharmonique de Radio France dirigé par Myung-Whun Chung.

Voici la traduction française du texte de YouTube qui situe parfaitement l’œuvre et l’effet produit sur certains critiques à sa création.

« Cette pièce incarne les anges qui portent du rouge à lèvres. Si Messiaen me parle d' »oiseaux qui avalent du bleu », je lui répondrai sèchement les cinq lettres qui ont immortalisé le général Cambronne ! Voilà pour une œuvre de clinquant, de fausse magnificence et de pseudo-mysticisme ».
C’est ainsi que Claude Rostand, critique musical attitré du magazine français Carrefour, décrivait l’exécution de l’œuvre d’Olivier Messiaen (1908-1992), qui venait alors d’être créée : « Trois petites liturgies de la présence divine », d’une durée de plus d’une demi-heure, en 1944.
Olivier Messiaen, synesthésiste, compositeur et ornithologue, a commencé à écrire les liturgies (une cantate de concert, et non de la musique liturgique à proprement parler), une œuvre majeure, le 15 novembre 1943 chez lui à Paris. Il s’agit d’une commande de Denise Tual, fille d’Henri Piazza, pour sa série des « Concerts de la Pléiade ».
Quelques années auparavant, il avait été libéré du camp de prisonniers de guerre Stalag VIII-A à la demande de son vieil ami Marcel Dupré. Il est alors nommé professeur d’harmonie au Conservatoire de Paris.
Après le succès de la récente création de la suite « Visions de l’Amen » pour deux pianos, les premières esquisses de Messiaen pour les liturgies décrivent un format qui implique également deux pianos, lui-même étant le second interprète et sa protégée Yvonne Loriod le premier. En fin de compte, ce projet a été abandonné, bien que la partie de piano exigeante ait été indubitablement composée en pensant à Yvonne Loriod.
Inspiré par le ballet « Les Noces » d’Igor Stravinsky, dont il avait conservé la partition dans le camp de prisonniers, Messiaen décida de remplacer le concept de double piano par un orchestre de cordes de chambre, une céleste, des percussions, un piano solo, un chœur féminin de dix-huit voix et les Ondes Martenot, un instrument électronique. Ce dernier instrument avait une affection particulière pour Messiaen. Il avait été initié à l’instrument lors de l’Exposition de Paris en 1937, pour laquelle il avait écrit la pièce inédite (jusqu’en 2003) « Fête des belles eaux » pour un sextuor d’Ondes Martenot. Messiaen était également un ami de l’inventeur, Maurice Martenot, et de sa sœur Ginette. Outre la « Fête des belles eaux » susmentionnée, il a écrit deux monodies inédites en quarts de ton et une musique de scène pour la pièce « Dieu est innocent » de Lucien Fabre pour une seule Onde, bien que l’utilisation la plus célèbre de celle-ci, dans son unique symphonie « Turangalîla », ne soit pas encore entrée dans les annales.
En outre, il a écrit le livret. Le texte principal du troisième mouvement est en grande partie basé sur une prière inédite qu’il a écrite pour les offices à l’église de la Trinité, où il était organiste titulaire.
Après la publication du « Rondo » (pièce d’essai pour le Conservatoire de Paris) pour piano et des traités « Technique de ma langue musicale » et « Vingt leçons d’harmonie », Messiaen achève la commande des liturgies, tout en poursuivant les projets des « Vingt contemplations sur l’Enfant Jésus » et du cycle de chansons « Harawi », le 15 mars 1944.
La première, très attendue, a lieu le 21 avril 1945 à la salle du Conservatoire. Y assistent la moitié des Six (Arthur Honegger, Georges Auric et Francis Poulenc), Jean Langlais, Henri Sauguet, Alexis Roland-Manuel, le cousin André Jolivet, Claude Delvincourt, Lazare Lévy, Daniel Lesur, Irène Joachim, Maurice Gendron, Jean Wiener, Georges Braque, Paul Éluard, Pierre Reverdy, Pierre Boulez, Serge Nigg, Pierre Henry, etc. Les interprètes étaient Roger Désormière dirigeant l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, dont les célèbres marques de temps sont présentes sur la partition, et Yvonne Loriod et Ginette Martenot, respectivement pianiste et ondiste, le Chœur Yvonne Gouverné (qui deviendra celui de Radio France).
Bien que l’œuvre ait été ovationnée lors de l’exécution, de nombreux critiques, ainsi que Pierre Boulez, ont exprimé un extrême dégoût à l’égard de l’œuvre, certains quittant même le concert. Ce dernier a notamment qualifié les liturgies de « musique de bordel » : un commentaire dont l’impact a continué à contribuer à l’image de Boulez et de Messiaen. L’œuvre sera finalement publiée en 1952, puis révisée en 1990.
La presse s’est déchaînée, le scandale est presque comparable au « Sacre du printemps » de Stravinsky.
Ces incidents et controverses forment aujourd’hui ce qu’il convient d’appeler « Le cas Messiaen ».

Concert

Les Trois Petites Liturgies de la Présence Divine » sont au programme de l’un des concerts du festival Messiaen au pays de la Meije le mardi 25 Juillet 2023 à 21h à la Collégiale de Briançon, avec Spirito, entre autres. Voir les infos ici.

La colombe

Voici la partition manuscrite de cette pièce pour piano, jouée Yvonne Loriod, épouse du compositeur et interprète de ses œuvres.

Messiaen et la couleur

Je vous recommande ces articles passionnants sur le blog de Thomas LACÔTE sur la qualité synesthésite de Messiaen :
https://phtoggos.wordpress.com/2019/05/01/olivier-messiaen-et-la-couleur-vision-ou-lubie-1-2/
https://phtoggos.wordpress.com/2019/05/11/olivier-messiaen-et-la-couleur-vision-ou-lubie-2-2/
Thomas LACÔTE, compositeur, est professeur d’analyse musicale au Conservatoire de Paris (CNSMDP) et titulaire du grand-orgue de l’église de la Trinité à Paris. www.thomaslacote.fr

Ondes Martenot

Si vous ne connaissez pas cet instrument, consultez l’article de Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ondes_Martenot.
Voici une performance de l’ondiste (joueur d’ondes Martenot !) Thomas Bloch qui vous montrera toutes les possibilités de cet instrument avant-gardiste créé en 1937. Malgré le clavier, c’est un instrument monodique. On ne peut pas jouer des accords.
Mais observez bien ce clavier : il est suspendu, ce qui permet le vibrato, en plus du glissando avec le curseur devant le clavier. !… https://music.youtube.com/watch?v=v0aflcF0-ys&feature=share

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