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Conférence « Se former à la pédagogie Willems® »

Conférence « Se former à la pédagogie Willems® »

Se former à la pédagogie d’éducation musicale Willems® peut-il rimer avec curiosité, confiance et liberté ?
Se former… et après ? Quel espace entre fidélité et créativité ?

Conférence de Christophe Lazerges
en clôture d’un séminaire de Sensibilisation et Formation au Diplôme Willems®
Lyon 22 juillet 2017

Vous avez presque tous planché pour réaliser des dissertations ces derniers jours alors aujourd’hui c’est mon tour !

Se former à la pédagogie d’éducation musicale Willems® peut-il rimer avec curiosité, confiance et liberté ?

Former c’est « mettre en forme », mais « se » former c’est une autre affaire.
Cela sous-entend organiser, mettre en ordre, donner du sens à ses connaissances, à ses pratiques, et naturellement acquérir de nouveaux savoirs.
Il y a donc une action volontaire pour s’engager dans une formation.  Cela suppose d’accepter l’idée qu’on a à apprendre quelque chose.

La curiosité

Donc le premier élément qui nous conduit à nous former c’est la curiosité, le désir de découvrir ce qu’on ne connaît pas. On fait alors un premier pas vers l’inconnu.  C’est le cas des personnes qui viennent ici dans le cadre de la sensibilisation. Et ça a été le cas de chacun d’entre nous quand il a fait le premier pas.

Qu’est-ce que c’est que la curiosité ?
C’est se mettre en disponibilité d’attention pour observer et recevoir.  Recevoir c’est donc un petit peu dans le domaine de la sensorialité. La curiosité n’est évidemment pas de la sensorialité mais elle pourrait être apparentée.
C’est une qualité nécessaire et déterminante pour entrer en formation.

Et c’est plus difficile quand une formation est imposée de l’extérieur, par une institution, une école…
À ce moment-là on se trouve plutôt dans la position d’être formé, pas forcément de son plein gré.
Cette curiosité est un préalable à recevoir de nouveaux savoirs.
Généralement dans les savoirs on pense aux connaissances, et par définition ces nouveaux savoirs sont inconnus. Il se peut que nous ayons des idées préconçues, et il se peut que nous soyons très étonnés de ne pas recevoir ce que nous attendions.

C’est là qu’intervient le deuxième élément : la confiance.

La confiance

Confiance dans un formateur, et en français le terme formateur n’est pas tout à fait le même que celui de professeur.
Parce que former, c’est un peu comme le boulanger qui va former la pâte.
Alors si vous vous imaginez être dans la situation de la pâte à être formée, malaxée, ce n’est pas une perspective très réjouissante !
Ce sont plutôt les professeurs qui vont avoir la charge de la transmission de ces savoirs à qui l’on doit faire confiance. Et cette confiance se traduit comme toujours, puisque c’est le principe de la confiance, par un certain abandon.

Maintenant nous sommes dans la situation d’être comme une pâte molle prête à être formée par le boulanger, et dans un deuxième temps on doit s’abandonner complètement…
La perspective est de moins en moins réjouissante !
Pourtant il nous faut ces deux éléments, parce que si nous ne voulons pas que le professeur nous conduise à un endroit que nous ne connaissons pas encore, il est sûr que nous ne ferons pas le chemin.

Dans la proposition pédagogique d’Edgar Willems nous avons la garantie que cet abandon ne sera pas contre nous. Sauf que cette garantie, moi, comme professeur, je la connais, mais les personnes qui viennent à notre rencontre ne la connaissent pas !

À la confiance que nous donnons, que nous remettons à un professeur pour suivre une formation, il faudrait ajouter la confiance en soi. Là encore cela relève de chacun : on ne peut pas dire « tu dois avoir confiance en toi pour aller te former ». C’est donc plutôt dans un deuxième temps que la confiance en soi va être renforcée par l’acquisition de nouveaux savoirs.

La liberté

Il n’y a pas de risque à donner sa confiance à quelqu’un pour une formation si on a la liberté de s’en échapper.

La liberté réside dans ce choix : je suis, je vais dans cette direction, ou je n’y vais pas.
Pour accepter d’entrer dans ce processus de formation, qui n’est pas une décision définitive, je dois conserver tout au long de ma formation la Liberté d’accepter ou de refuser.
Un des moyens les plus simples à notre disposition en permanence est le questionnement.
Questionner le professeur et se questionner soi-même.

Accepter de suivre le chemin donc choisir de donner sa confiance pour un certain temps peut aussi dériver sur accepter de subir une formation. L’acceptation serait alors proche de la résignation.
Il n’y aurait pas beaucoup de liberté dans cette acceptation. 

Cela peut être aussi d’accepter de prendre en charge son propre apprentissage.
Je suis toujours libre de m’arrêter quand je veux.

La liberté c’est le choix. Le choix d’accepter ou le choix de refuser. Je peux refuser une proposition qui m’apparaît comme dogmatique. Je peux refuser, et même, je dois refuser une formation conduite par un gourou. Mais tous les gourous ne dévoilent pas leur nom. C’est-à-dire qu’on peut avoir un comportement de gourou en cherchant à séduire et ramener à une pensée unique.
La liberté c’est donc cette possibilité donnée de remettre en cause, de remettre en question. 

Sous l’angle de la Liberté la formation se distingue nettement du formatage.
Dans les cours de formation nous cherchons à conceptualiser, mettre à la portée de chacun des outils d’analyse, des outils d’entraînement pratique, qui permettent de s’approprier savoir et savoir-faire. 

Savoir – Savoir-faire – Savoir-être

Quand on commence une formation ou quand on lit la présentation d’une formation, on voit clairement (si c’est bien fait…) quels sont les savoirs, et conséquemment les savoir-faire qu’on va aborder. Le savoir-faire c’est vraiment la pratique. Il est très fréquent qu’on suive une formation en se disant ‘je vais apprendre quelques éléments’ et qu’on n’envisage pas au début qu’il va falloir les mettre en œuvre avec un certain savoir-faire. Et peu à peu on réalise ces savoirs avec le savoir-faire. Dans une formation c’est normal. Même si on ne l’a pas prévu au départ on comprend bien que ces savoirs nécessitent une pratique, surtout dans le domaine pédagogique.

Mais il y a un troisième type de savoir dont on ne parle pas beaucoup dans les prospectus de présentation : il s’agit du savoir-être.

Le savoir-être concerne le relationnel.
De ce point de vue il est apparenté au savoir-vivre. Mais le savoir-vivre s’apprend avec des règles pour vivre bien en société.
Peut-on apprendre à savoir-être en conservant sa liberté ? Est-ce que dans le savoir-être un professeur peut déterminer : « Tu dois être comme ça ! » ? Est-ce qu’apprendre le savoir-être ça veut dire que « Moi, professeur, je sais comment tu dois être » ? « Moi, professeur, je vais t’apprendre à être ! » … Là, ça fait peur ! Là, on est dans la situation du gourou. « Moi je sais, et tu dois apprendre et venir vers mon savoir. » Alors ce n’est pas une situation où on est libre.
Donc ce n’est pas ce type de savoir-être.

Il ne s’agit pas d’apprendre à savoir-être, et pourtant nous allons travailler sur le savoir-être dans la formation.
Alors à quel endroit ça se situe ? On va mettre en évidence l’équilibre à rechercher en soi entre la partie de notre vie physique, de notre vie affective et de notre vie mentale. On va présenter l’intérêt de réaliser en soi la cohérence entre ces éléments.

Le savoir-être, c’est réaliser la cohérence entre ce que je vis et ce que je partage ou ce que j’invite à faire vivre à mes élèves ou étudiants. Donc c’est l’équilibre et la cohérence. 

Lecture « willemsienne » du sujet

Si je fais maintenant une lecture willemsienne de ce sujet, « Se former à la pédagogie Willems® peut-il rimer avec curiosité, confiance et liberté ? », je me demande quel est le rapport avec le Rythme, la Mélodie et l’Harmonie, que Willems a mis en parallèle avec la vie physique, la vie affective et la vie mentale ?

Alors je me dis : la curiosité c’est l’impulsion initiale, et cette impulsion doit être à entretenir, à développer, à cultiver. Elle est donc apparentée à l’impulsion rythmique.
Et la confiance ? La confiance c’est la relation à l’autre, la relation à soi, la sensibilité qui se réalise dans cette relation. C’est bien de même nature, apparenté aux relations entre les sons, aux relations mélodiques. 
Et la Liberté ? C’est la possibilité de faire des choix, analyser, décider. C’est bien de nature mentale, apparenté à l’harmonie.

Ces trois relations, curiosité/rythme, confiance/mélodie, liberté/harmonie, me sont apparues en réfléchissant à la question. Alors c’est peut-être parce que je suis formaté à la pensée de Willems et que je veux faire rentrer à tout prix tout ce que je fais et tout ce que je dis dans le cadre ?!
Libre à vous de le penser ! 

Je le prends autrement.
Je le prends comme un moyen d’équilibrer ces trois éléments constitutifs. L’analyse de la musique dans ces trois composantes rythme/mélodie/harmonie, dans l’éducation musicale nous sert à développer l’être humain dans ces trois dimensions physique, affective et mentale.

Dans « La valeur humaine de l’éducation musicale », Edgar Willems présente un certain nombre de schémas, qui sont des façons différentes d’envisager les relations entre le rythme, la mélodie et l’harmonie.
Quelques-unes de ses lois : s’il n’y a pas de rythme, il n’y a pas de son ; s’il n’y a pas de son il n’y a pas d’organisation mélodique ; et sans mélodie il n’y aura pas d’harmonie. Donc il y a une logique presque chronologique.

Une autre loi : la mélodie a la primauté tandis que le rythme a la priorité et l’harmonie vient en conséquence des deux.

Il y a aussi la dernière loi que Willems expose dans ses schémas, c’est la loi d’analogie. S’inspirer de cette trilogie aux relations multiples et complexes de la musique pour les transposer à d’autres domaines. Par exemple à l’architecture, la littérature, la poésie, et par extension à « qu’est-ce que c’est que la formation » ?!

On aura donc avantage à équilibrer ces trois données que sont la curiosité, la confiance, et la liberté, tout au long de la formation.

Se former … et après ? Quel espace entre fidélité et créativité ?

Deuxième thème complémentaire par rapport à celui traité précédemment :
« Se former … et après ? Quel espace entre fidélité et créativité ? »

La fidélité

Je commence par définir les termes de mon sujet, et me voilà conduit à définir ce que c’est que la fidélité !
La fidélité, c’est peut-être la persistance du lien dans le temps.
Naturellement vous avez toujours la liberté de penser autrement !

Cette fidélité peut se traduire par le maintien du lien tel qu’il est au moment où il a été établi.
Alors ça peut se traduire par : « J’ai suivi une formation ; maintenant je sais ce que c’est : ‘Je fais du Willems’ ! J’ai appris tel et tel principe, je les réalise, donc je suis fidèle aux principes… »

J’ai vu une fois dans un cours quelqu’un prendre le marteau sonore et frapper « comme ça… » alors par fidélité je pense que je dois toujours frapper « comme ça » avec le marteau sonore.
J’ai vu une autre fois dans une leçon un professeur/formateur prendre les mains d’un enfant pour improviser une mélodie.
Alors par fidélité je vais moi aussi toujours prendre les mains d’un enfant pour inventer et comme ça je suis fidèle au cadre.
C’est caricatural ? Certes, pourtant nous l’observons assez fréquemment…

Ce type de fidélité est statique.
Ce type de fidélité fait penser à certaines relations de couple, quand on voit deux personnes cheminer côte à côte sans rien changer à leurs habitudes, indépendants l’un de l’autre.

La créativité

Un autre type de fidélité consiste à évoluer avec l’autre. La relation continue d’évoluer, c’est un lien vivant. Nous allons souhaiter plutôt ce type de fidélité qui laisse toujours libre et qui s’appuie sur le fait que Willems parle de fonctionnement et non pas de résultats. Si je continue à m’intéresser à des fonctionnements, alors ce sont les personnes avec qui cela va se réaliser qui vont faire le résultat, cela me donne des moyens d’être créatif pour revivre ces principes. Alors je peux être fidèle à un certain type de fonctionnement en étant créatif et en restant relié à mon domaine, la musique, en cohérence avec moi-même.

Se former se réalise pour la formation Willems® dans le cadre de la Fédération Internationale Willems®. Alors quel lien entre fidélité à la Fédération Internationale et la création d’une évolution ? J’ai dit création mais je devrais dire créativité ce qui est différent. Si je prends le cas de Willems, la Fédération c’est d’abord un Mouvement. Et le mouvement c’est ce qui bouge. Il s’agit donc de rester actif, inventif, et un moyen de l’être, c’est de rester en contact et de partager ses expériences.

La fidélité à un Mouvement, c’est d’être dans le bateau qui avance, et de ramer avec d’autres pour qu’il avance, et éviter de se figer au point où on est arrivé. La Fédération Internationale veut être un lieu de rencontre et de partage. Il y a d’ailleurs dans les statuts de la fédération « cultiver des liens d’amitié entre ses membres ».

Les formateurs que vous avez côtoyé ces derniers jours sont tous différents les uns des autres. En circulant d’un atelier à un autre, en voyant un professeur ou un autre travailler, c’est le témoignage de la liberté d’être de chacun. Entre nous nous échangeons beaucoup et nous ne sommes pas toujours d’accord. Mais on partage et on échange. Et je vous invite à poursuivre ces échanges dans les semaines, les mois, et les années qui viennent. La diffusion de cette proposition pédagogique est toujours très pertinente dans le monde d’aujourd’hui, mais ce Mouvement ne continuera pas à vivre si on sacralise une pensée et une pratique.

Wiillems®, c’est tout sauf une chapelle !

Pour conclure je voudrais faire allusion à mon maître Jacques Chapuis… 
Il disait très souvent : « Il faut former des allumeurs ». Car ça ne nous intéresse pas de former des enseignants. Ce qui est intéressant c’est d’accompagner des personnes capables de déclencher la Vie, le feu ! Et lui-même était un allumeur exceptionnel, mais ce n’était pas un pyromane ! Le risque c’est que les allumeurs soient un peu des allumés eux-mêmes… et se comportent comme des modèles à suivre… mais en fait il n’y a pas grand risque si ces modèles ne cherchent pas à être imités. Et je pense, j’espère, je suis convaincu, que ce n’est pas ce que vous avez rencontré parmi les formateurs présents ici.

Mais les allumeurs doivent donner envie de vivre aussi intensément qu’ils vivent eux-mêmes.
Vivre plus intensément pour vivre plus heureux ! Finalement ce n’est qu’une forme d’organisation de notre quête du bonheur qui se réalise à travers la musique et seulement à travers la musique dans notre cadre, avec un autre moteur essentiel : la Joie !

Je vous remercie.
Christophe Lazerges.

PS : il est intéressant d’établir une autre analogie entre savoir/mental, savoir-faire/physique, et savoir-être/affectif… A nouveau 3 éléments à équilibrer…

Un commentaire

  1. Gloria Valencia

    Merci Christophe, quel plaisir d’entendre des paroles aussi profondes de la part d’un grand éducateur qui, suivant les principes de notre incomparable maître Edgar Willems, a passé toute sa vie à construire et à créer de nouvelles pensées et de nouveaux actes de grande valeur pour l’éducateur d’aujourd’hui. …. Félicitations !

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