L’intratonal en question
L’intratonal en question

L’intratonal en question

L’intratonal en question

Récemment questionné à ce sujet par une Diplômée Willems®, il m’apparaît utile de revenir à cette question, si spécifique du travail pédagogique proposé par Edgar Willems. En effet, il est le seul pédagogue de l’éducation musicale à avoir non seulement abordé cet aspect du développement auditif, mais inventé le principe même de ce type de travail, y ajoutant un certain nombre d’inventions destinées à le réaliser, notamment en ‘bricolant’ un harmonium pour jouer des séquences jusqu’au 1/100ème de Ton.

Edgar Willems : « Monsieur clochettes » !

Le développement auditif recommandé par Willems à partir d’un matériel sonore abordable et familier de son temps, était très original dans son extension.

Maria Montessori avait déjà abordé ce principe de comparaison avec des boîtes à apparier, et le principe de pré-classement et de classement avec une série de cloches de taille et couleur identiques du DO3 (C4) au DO4 (C5), diatonique, pentatonique et chromatique. Ce matériel est toujours en usage dans les écoles Montessori.

Willems a élargi le spectre des différences à observer : pour les tout petits, avec des instruments à effet très différenciés, et pour les plus grands, avec des séries de clochettes en acier ou en laiton de taille identique à l’intérieur d’un Ton.
Entre 2 clochettes, il en glissait une troisième qu’il accordait en limant soit la base, soit le haut de la clochette.
Je renvoie le lecteur à son livre « L’oreille musicale » qui traite en détail le sujet.

C’est cet usage particulier de clochettes qui lui value ce surnom de Monsieur Clochette, et la réputation de sa Méthode souvent réduite à ces mêmes clochettes…
Mais revenons à l’espace intratonal.

L’espace intratonal et le Carillon intratonal

Ce terme « intratonal » a été inventé par Willems en 1931 pour définir ce lieu d’exploration du développement de l’oreille à l’intérieur d’un Ton. Là encore, je renvoie le lecteur à ses ouvrages qui comprennent tous un paragraphe voire un chapitre sur la question.

Les « willemsiens » connaissent tous les exercices d’audition réalisés depuis plus de 40 ans avec le « Carillon intratonal », créé à l’initiative de Madame Decitre à Lyon, organisé dans l’espace d’un tetracorde SOL3 (G4)-DO4 (C5), divisé en 1/4° de Ton entre SOL et LA, puis en 1/18° de Ton entre LA et SI, sans diviser l’intervalle SI-DO.

Si vous n’avez pas eu la chance de suivre cette formation, j’ai enregistré pour vous des vidéos qui présentent concrètement et en détail les principes du « Pré-classement » et de « Classement ».

Le Classement étant plus difficile que le Pré-classement, on travaille le Classement un cran au-dessous du Classement.
Par exemple : Pré-classement au 1/9° de ton, suivi d’un Classement au 1/4° de ton…

Ainsi peut-on travailler de façon très progressive du Ton au 1/18° de Ton en faisant des pré-classements et des classements.
Ce travail est bien abordé dans les cours de Formation Willems® pour l’initiation de 2ème degré et le 3ème degré pré-solfégique et pré-instrumental.

Et après ?!

Le développement auditif intratonal dans les cours de Solfège

Pendant la Formation Willems®, on fait régulièrement des « Tests audiométriques » avec des enregistrements allant du 1/8° de Ton au 1/200° de Ton par séries de 10. Il s’agit d’affiner la capacité de discrimination de l’oreille au plan sensoriel en comparant 2 sons espacés de ces micro-intervalles. « Biiiip-Buuuup » : Montée… « Buuup-Biiiip » : Descente ! 😉

Ci-dessous un exemple au 1/50° de Ton : ça monte ou ça descend ?
Une chose est sûre, ça ne reste pas en place, ce sont 2 sons différents…

Travail exclusivement sensoriel car il ne s’agit pas de savoir si c’est joli ou pas, ni quelles sont les noms des notes correspondant aux sons (et pour cause). « Beau ou Laid » sont des appréciations d’ordre affectif, tandis que les noms des notes seraient des appréciations d’ordre mental. Ces test ne concernent que le réflexe sensoriel. Plus les différences se réduisent, plus on est réduit à une impression de montée ou de descente, sans être influencé par le timbre ni par l’intensité.
L’enjeu n’est même pas de réussir, puisque le test est évalué positif avec 6 bonnes réponses sur 10, il y a de la marge…
Le but est d’abord de se concentrer sur l’écoute des sons, développer la réceptivité sensorielle.

A quoi ça sert ?
  • Tout d’abord à s’habituer à écouter et recevoir n’importe quel son sans a priori. Cela est déterminant pour ne pas bloquer la réceptivité par des réflexes affectifs (j’aime ou je n’aime pas), voire culturels.
    Humainement, cette pratique favorisera l’acceptation de « l’autre », ce qui n’est pas rien dans la vie en société…
  • L’accord des instruments est évidemment une application constante de cette comparaison de 2 sons dans l’espace intratonal, l’objectif étant alors de réduire cet espace pour obtenir un unisson. S’accorder avec un autre instrument, on commence par apparier deux sons, le sien avec celui de l’autre.
  • Cela entraînera aussi l’oreille à conduire la production, voire l’émission de sons justes, particulièrement pour les instrumentistes à cordes, et aussi les chanteurs, mais aussi les instruments à vent pour lesquels le placement des lèvres sur l’embouchure contribue à la hauteur et même au timbre.
  • Or un son n’est pas « juste » en soi. Il est juste relativement aux autres sons, soit mélodiquement, soit harmoniquement.
    Ainsi une note « Sensible » peut-elle être plus proche de sa résolution sur la Tonique que les 4 comas pythagoriciens de la théorie. Il s’agira alors d’une « justesse expressive », et pas seulement pour les instruments à cordes.
  • La justesse des chanteurs sera grandement améliorée par un travail intratonal.
    Il n’est pas rare aujourd’hui d’entendre un chef de chœur demander un accord mésotonique, ou des exigences particulières pour le travail de musique ancienne dans des tempéraments inégaux. Le travail intratonal permettra alors une plus grande souplesse d’adaptation.
  • Enfin, Willems a mis en évidence la corrélation qui existe entre la capacité de l’oreille à distinguer 2 sons d’un 1/8° de Ton, avec la capacité à décomposer, isoler les 2 sons d’un intervalle harmonique et d’un accord de 3 sons Majeur ou mineur. Plus finement, la correspondance entre les 1/16° et 1/24° de Ton avec les accords de 3 et 4 sons Fondamentaux. Enfin la correspondance entre les 1/50° et 1/100° de Ton avec les accords de 4 sons renversés et les agrégats.
    Ces correspondances ne sont pas fixes, car elles dépendent aussi d’autres facteurs, mais donnent un ordre d’idée.
    Donc travailler dans l’espace intratonal favorise aussi la perception des simultanéités : plus on entend finement, plus on peut dissocier des ensembles harmoniques complexes.

Toutes ces raisons justifient donc pleinement le fait de poursuivre régulièrement cette exploration de l’espace intratonal commencée dès le 2ème degré d’initiation musicale !

Comment le réaliser ?

Cela dépend bien sûr du niveau de solfège concerné.

  • Pour le Solfège débutant, on peut poursuivre sur la lancée du 3ème degré en travaillant avec le Carillon intratonal.
    On peut aussi commencer à utiliser les Tests audiométriques enregistrés par Ugo Cividino pour les Éditions Pro-Musica, avec les 2 premières séries, au 1/8° et 1/16° de Ton (voir CD présenté plus haut).
  • Pour les années suivantes, on peut augmenter progressivement les difficultés.
    Pour ne pas perdre de temps, il faut préparer des grilles à remplir avec des flèches ou des abréviations M (Montée) ou D (Descente). Les enfants sont friands de ces exercices !
  • D’autres exercices sont proposés par Willems dans ses ouvrages :
    2 sons étant donnés au piano, successivement, par exemple DO-DO#, puis reprenant DO seul, il s’agit de chanter en glissando et s’arrêter sur ce qui nous semble être le DO#, puis contrôler le résultat avec le piano.
  • De la même manière, on peut pratiquer avec le Carillon intratonal entre SOL et LA, jouer SOL-LA et chanter en glissando jusqu’au SOL#, puis vérifier au Carillon.
    On peut décliner le même exercice avec les 1/4° et les 1/9° de Ton…
  • Willems proposait même à ses élèves de s’exercer à chanter chez eux une gamme en 1/4° de Tons de DO3 à DO4 !
    Quand ils lui ont demandé comment ils pouvaient savoir s’ils avaient chanté juste, il a répondu :
    « Entraînez-vous afin d’être sûrs de vous-mêmes ; ainsi vous acquerrez l’appréciation et le jugement personnels que personne ne peut vous donner ».
    Je trouve cette remarque particulièrement éloquente quant à l’attitude générale d’Edgar Willems avec ses élèves.
  • Un autre exercice redécouvert en préparant cet article, réalisable avec le Carillon intratonal :
    après avoir travaillé sur une série, par exemple au 1/4° de Ton, jouer le son le plus grave, comme référence, et deviner quel est le numéro d’un deuxième son joué parmi les 4 lames restantes. Et ainsi de suite avec les 1/9° de Ton !
  • Enfin, un son étant donné, chanter un son 1/2 Ton au-dessus, ou 1/4°, ou 3/4°…
Quand le réaliser ?

Comme vous le voyez, les déclinaisons sont très nombreuses, peut-être même trop : on a vite fait de se prendre au jeu et de s’y perdre, surtout quand les élèves le réclament !

Le programme de Solfège étant très dense, il n’est pas nécessaire de pratiquer ces exercices à chaque cours. Il faut aussi entraîner la reconnaissance des intervalles et des accords, quantitativement et qualitativement.
Je pense qu’une fois toutes les 6 séances est une bonne moyenne pour raviver l’écoute purement sensorielle…

Conclusion

Oui, il est utile de poursuivre un travail dans l’espace intratonal en Solfège !

Je vous recommande de lire ou relire de temps en temps les ouvrages de Willems en explorant ses divers regards sur un même sujet : l’espace intratonal, évidemment, ou le sens mélodique, le sens rythmique…
Voyez aussi ses Carnets pédagogiques, très synthétiques…
Tout ces livres ainsi que le Carillon intratonal sont disponibles aux Éditions Pro Musica.

Bon voyage dans l’espace … willemsien !

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