Les Mouvements Corporels en Question
Dans les cours d’initiation musicale Willems® les mouvements corporels « naturels » occupent une place importante.
Je ne leur ai pas toujours accordé toute la place qu’ils méritent pour plusieurs raisons, dont certaines sont discutables.
D’où cet article : pour en discuter !
La maîtrise du temps
La première raison est sans nul doute un défaut de maîtrise du temps dans la répartition de la matière au cours d’une séance, car les Mouvements Corporels étant placés à la fin, il est très fréquent qu’on n’ait plus le temps, étant resté trop longtemps sur d’autres chapitres.
Petit rappel des objectifs et consignes chapuisiens :
- 1er degré : 10′ sur 60′ de leçon. Déclencher le sens de l’écoute audio-motrice qui contribue à l’acquisition du sens du Tempo.
- 2ème degré : 10′ sur 75′ de leçon. Renforcer le sens du Tempo, introduire la notion de forme dans l’espace et la battue des mesures.
- 3ème degré : 15′ sur 90′ de leçon. Renforcer la battue des mesures et introduire des mouvements plus libres et individuels dans l’espace.
- 4ème degré : 5′ sur 75′ de leçon. Battue des mesures, petites danses, quadrilles, mouvements libres sur la musique…
Le premier remède est de modifier le plan général du cours et de commencer par les Mouvements.
Car le fait de les placer à la fin, et donc souvent de les réduire à une peau de chagrin ne permet pas au professeur d’y prendre plaisir et de se forger une expérience pour mener cette partie.
Le deuxième remède est de s’approprier cet aspect de l’éducation musicale comme un moment essentiel.
Ce qui nous conduit à la question principale …
Pourquoi faut-il des Mouvements Corporels Naturels dans l’éducation et la formation musicales ?
L’idée de Willems pourrait se résumer comme ça : le Mouvement, c’est la Vie !
Vivre en grand quand on est petit, pour pouvoir continuer à vivre en petit quand on est grand.
Autrement dit : la grande motricité favorise par l’imprégnation l’intériorisation de la motricité fine, jusqu’au mouvements de l’âme…
Car il n’est pas de pratique musicale sans participation corporelle, tant pour les instruments que pour le chant (pour lequel c’est le corps lui-même qui est l’instrument).
Quels types de Mouvements initier ?
- La marche
Marcher au Tempo conduit immanquablement aux marches militaires, ou comme des majorettes !
Ce sont des marches, bien sûr, au pas cadencé, donc sur un Tempo commun aux participants, mais elles commencent toujours par « marcher sur place », ce qui permet de faire démarrer une troupe en bloc. Le principe est de lever les genoux.
Ce type de marche est spontané pour les enfants et rassurant pour le professeur, car en général il est très rapidement efficace pour que tout le monde marche ensemble à un pas cadencé.
Mais il ne garantit pas du tout l’acquisition du sens du Tempo qui est lié avant tout au déplacement du centre de gravité du corps, comme pour tous les autres Mouvements qui suivent. Donc au lieu de lever les genoux, il faut penser à avancer le pied et frapper légèrement les talons en se penchant un peu en avant.
Plutôt que de parler de « marche », il vaut mieux parler de « promenade » qui induit tout de suite un autre état d’âme.
Les marches de type militaire entrent dans la catégorie « marche de caractère », à partir du 2ème degré, en les complétant par d’autres types de caractères, pour imprégner peu à peu consciemment d’autres états d’âme.
Et voilà bien l’enjeu : cette mémoire du corps, intériorisée au fil du temps, pourra nourrir des états intérieurs propres à l’interprétation d’états d’âmes variés, et inversement.
Or déclencher une telle qualité d’écoute audio-motrice est beaucoup plus subtile et difficile. - La course
Les enfants adorent courir ! A peine savent-ils marcher qu’ils courent, courent, courent !…
Dans ce cas-là, il n’y a pas de risque de faire du sur-place. Et comme ils aiment courir, c’est toujours un moment joyeux : on aurait tort de s’en priver !!
La difficulté est de synchroniser les pas de la course avec de la musique… Car il ne s’agit pas de courir quand la musique est rapide, ou marcher quand elle est lente. Il faut donc beaucoup varier les tempi de ces courses pour que l’enfant comprenne qu’il doit s’adapter à la musique, notamment grâce aux ralentis et aux accélérations, voire aux arrêts brusques ! - Le sautillé ou le galop
Le sautillé est ternaire (croche/noire), en alternant les jambes, tandis que le galop est binaire (double-croche/croche pointée) avec toujours le même pied devant (au moins au début pour bien distinguer le galop du sautillé).
Le sautillé est l’expression de la joie et de l’insouciance par excellence ! Quand un enfant sautille dans la rue ou le jardin, vous pouvez être sûr que dans ce moment-là, il n’a pas de soucis… D’où l’importance d’apprendre aux enfants à sautiller, ce que beaucoup ne savent pas faire. C’est un bon exemple de l’influence du Mouvement sur l’état d’âme, car amener un enfant à sautillé peut l’aider à sortir d’un chagrin ou d’une préoccupation. - Le balancement
Le balancement sur place est le déplacement du centre gravité d’une jambe à l’autre, dans la limite du déséquilibre. C’est pourquoi il est recommandé de garder les pointes des pieds au sol et lever le talon de la jambe opposée à la jambe d’appui.
Attention à ne pas confondre le balancement avec la rotation du torse, les jambes restant fixées au sol : le centre de gravité ne bougeant pas, dans ce cas on ne développe pas le sens du Tempo. - Les sauts sur place
Les enfants aiment aussi beaucoup sauter, mais n’ont pas la même endurance qu’avec la course.
Il s’agit encore du déplacement du centre de gravité, verticalement cette fois. Sauter sur place déclenche un ébranlement complet du corps, une secousse qui peut même faire mal si on retombe lourdement. Il faut penser les sauts comme des rebonds vers le haut, comme sur un trampoline. - Les Mouvements tournants
Il s’agit là de mouvements de bras. Dans ce cas, le centre de gravité ne se déplace pas, mais il doit être sollicité pour déclencher d’élan du mouvement. On sent très bien la différence en comparant un mouvement de moulinet devant soit et faire des petits (ou grands) cercles symétriques avec les 2 bras devant soi.
Cette sensation du centre du corps sera déterminante pour le centrage conscient et la source de l’énergie qui irradie le corps jusqu’au bout des doigts, indispensable à toute pratique instrumentale et à la direction de chœur ou d’orchestre.
Un bon moyen d’engager cette énergie est aussi de tourner devant soit, les mains jointes, comme pour mélanger la potion magique dans le chaudron de Panoramix !
Pourquoi ça ne « marche » pas toujours ?
Il est fréquent de constater que des enfants en 3ème voire même en 4ème degré n’ont pas encore acquis le sens du Tempo dans les Mouvements Corporels.
Comment est-ce possible ?!
Tout d’abord, depuis Willems et Chapuis, les temps ont bien changé : les enfants passent beaucoup plus de temps en voiture on transports en commun qu’en marchant. Je ne rentre pas dans les détails.
Le fait de devoir apprendre à un enfant sur trois à sautiller est symptomatique à cet égard.
Il est donc encore plus important de ne pas sacrifier ce moment dans une leçon d’éducation musicale !
Une autre cause peut être la façon dont ces moment de Mouvements sont conduits.
Il faut que les enfants comprennent ce qu’on attend d’eux, c’est-à-dire pas seulement courir, sauter ou marcher, mais écouter la musique qui est associée à ces mouvements. Pour ça rien ne vaut l’exemple et le contre-exemple du professeur.
Par exemple, sur une musique enregistrée, marcher trop lentement, ou accélérer, ou trop vite, et finalement au bon Tempo.
Puis on demande à un enfant d’évoluer seul dans la classe, et aux autres de commenter s’il est en phase avec la musique ou l’improvisation chantée du professeur qui s’accompagne d’un tambourin…
Il devient possible alors au professeur d’intervenir auprès d’une enfant quand le groupe est en mouvement en lui disant « écoute tes pas », ou « écoute la musique »… Et ne pas le laisser déambuler hors du Tempo.
Cela prend du temps, dans une séance, et surtout sur une longue période. Et il ne faut pas lâcher l’affaire jusqu’à ce que ce sens du Tempo en déplacement soit assimilé. Après, ça sera comme le vélo, ça ne s’oublie pas !
Que dire des mouvements imitant les animaux ?
Ils permettent certainement de déclencher des images propres à induire des mouvements très différents les uns les autres.
Ça peut aider des enfants qui n’osent pas bouger.
On travaille alors davantage sur les caractères que sur le Tempo, et dans ce sens ça peut être utile.
Mais généralement le rapport avec la musique est plus difficile à établir au niveau de la précision audio-motrice.
Je ne partage pas l’idée que si on entend le lion dans le « Carnaval de animaux » de Saint-Saëns, on doit devenir lion, s’incarner en lion pour vivre sa démarche. Ça a pour effet de faire sortir les enfants d’eux-mêmes (et le professeur qui les induits) au lieu de styliser une imitation qui s’inspire de l’idée qu’on se fait du lion.
Si on ne peut plus écouter le « Carnaval de animaux » sans gigoter sur sa chaise, c’est qu’on a manqué l’étape de l’intériorisation…
Que dire des mouvements « Libres » ?
Il y en a de plusieurs sortes, et différents suivant qu’on s’adresse à des enfants ou à des adultes.
Pour les enfants, à partir du premier degré, on les invite à initier un mouvement parmi les 6 inventoriés plus haut.
Il a alors le choix du Tempo et du caractère que le professeur va mettre en musique en improvisant en chantant, soulignant légèrement le Tempo avec un tambourin. Puis il invite le reste du groupe à l’imiter en suivant le premier.
C’est encore une occasion pour le professeur de mettre en évidence son accompagnement : « Est-ce que je suis bien à son Tempo ? »…
Pour les adultes, et notamment dans les cours de Formation à la pédagogie Willems®, les mouvements sont le plus souvent limités aux bras, partant de l’idée que le haut du corps est largement plus solicité que le bas dans la pratique musicale. Cette idée même est discutable…
Il s’agit alors de bouger les bras en l’air, à la façon d’un danseur qui serait fixé au sol, et de suivre les inflexions de la musique.
Dans ses fameuses « mise en train », Béatrice Chapuis insiste particulièrement sur la réactivité requise pour adapter les mouvements aux événement musicaux de l’œuvre choisie.
Je ne partage pas ce point de vue, d’abord parce que je n’ai que trop rarement eu du plaisir à le réaliser, ensuite parce que j’ai vu trop souvent des participants imiter le professeur sans ressentir la même chose que lui alors que visiblement ça lui déclenche une forme d’exaltation…
Que reste-t-il des Mouvements dans la pratique musicale ?
Observez un chœur de chanteurs professionnels dans le répertoire classique : ils sont immobiles quand ils chantent (sauf à l’opéra).
Observez un orchestre symphonique classique quand il joue : généralement assis, seul le haut du corps des musiciens oscille plus ou moins.
Est-ce à dire qu’ils ne bougent pas ? Non !
Le mouvement est très intense mais intérieur.
Les solistes classiques bougent davantage, encore que ça dépend beaucoup de l’instrument, … et des interprètes !
Dans la musique traditionnelle, c’est souvent le contraire, ou plutôt, les instrumentistes et chanteurs ont tendance à danser en jouant, ce qui ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de vie intérieure !!!
C’est aussi bien sûr un histoire de culture et de tradition : l’orchestre des jeunes de NEOJIBA au Brésil bouge beaucoup plus que l’Orchestre de Radio France !
Est-ce qu’on entend la différence en écoutant les yeux fermés (et sans bouger) des enregistrements d’une même œuvre ?
Pas sûr… En revanche au concert, l’enthousiasme des premiers se communique davantage que le sérieux des seconds…
Pour finir, sans clore la question, je vous invite à regarder Dietrich Fischer-Dieskau en récital dans le « Winterreise » de Schubert. Voir l’article « Écoute musicale n°28« …
Commentaire de Eulàlia Casso i Samsó avec texte original en catalan.
…
Très intéressantes tes réflexions.
(Molt interessants les teves reflexions)
Je le relirai pour bien comprendre ton partage d’expérience.
(Hi tornaré de nou per captar millor les experiències que comparteixes)
Une seule lecture n’est pas suffisante pour assimiler la profondeur de tes réflexions.
(una lectura única no és pas suficient per assimilar la profunditat de les teves reflexions)
Merci, Christophe pour traiter tous ces sujets.
(Gràcies, Christophe, per tractar tots aquests temes)
Je te salue et t’embrasse fort.
(Una abraçada i un petó molt gran)
Eulàlia Casso i Samsó