La musique au XIII° siècle
Ce qui nous reste de la musique ancienne provient de manuscrits. C’est donc la musique savante, par opposition à la musique populaire. Elle est dominée par la musique religieuse et sa lente évolution du chant Grégorien du IX° s. à la polyphonie du XIV° s. avec l’Ars Nova, en passant par l’Ars Antiqua du XIII° s. Nous avons abordé les début de la polyphonie au XII° s. avec le style Organum de Léonin et Pérotin le Grand (écoute n°44).
Le XIII° s. prolongera cette ouverture par le Motet à 3 puis 4 voix.
Dans le même temps, les Troubadours, au Sud de la France, les Trouvères, au Nord, et les Minnesänger, en Allemagne, composaient et jouaient des pièces profanes autour du grand thème de l’amour courtois.
Les ensembles de musique ancienne sont confrontés à l’inconnu de l’interprétation de ces manuscrits.
Pas si inconnue, car il existe des traités assez détaillés permettant de les décoder. Cependant, le passage de l’écrit à l’oral est toujours une interprétation, et même une recréation.
Si les paroles et les notes de musique sont déchiffrables, les instruments sont rarement indiqués. Il faut donc se reporter à l’iconographie, qui est abondante. Ceci explique les différences notables entre les différents ensembles, avec plus ou moins de liberté prise concernant les doublures des voix chantées, les reprises instrumentales des mélodies chantées, et toute l’ornementation. C’est ce qui rend vivante et passionnante cette musique du passé !
Avant d’aborder Adam de la Halle, un des derniers Trouvères, je vous propose une pièce anonyme connue de mes anciens élèves de Ryméa : Alle, Psallite cum Luya. La version choisie est une très bonne illustration du passage de la monodie grégorienne à la polyphonie avec les 2 voix en Quintes parallèles, dans l’introduction, et de l’apport dynamique des instruments, généralement dédiés à la danse.
Montpellier Codex – Montectum triplum: « Alle psallite cum luya »
Autre version plus courte par The Early Music Consort Of London · David Munrow :
Adam de la Halle (1240-1288)
Adam de la Halle (dit Adam d’Arras ou le Bossu d’Arras) est un trouvère de langue picarde (langue d’oil, du Nord de la France), actif au XIIIe siècle. Il naît vers les années 1240, selon toute vraisemblance à Arras et meurt a priori entre 1285 et 1288, à la cour du comte d’Artois, à Naples, dans le Sud de l’Italie.
Son art, à la charnière de la monodie et de la polyphonie, fait qu’on le considère souvent comme le dernier trouvère.
Poète et compositeur, il est l’auteur des deux premières pièces de théâtre profanes françaises conservées : le Jeu de la feuillée (1276) et le Jeu de Robin et Marion (± 1274-1282).
Le Jeu de Robin et Marion est une pièce de théâtre entrecoupée de chansons écrites par le trouvère arrageois Adam de la Halle dans les années 1270 ou 1280. Il s’agit de l’une des onze pièces dramatiques du XIIIe siècle occidental qui nous soient parvenues.
Elle aurait été écrite par Adam de la Halle en Sicile, entre 1282 et 1284, alors que le trouvère était entré au service du comte Robert II d’Artois.
Écrit selon les canons d’une pastourelle, Le jeu de Robin et Marion étonne par l’idée originale et la réalisation d’une rare habileté : alternant les dialogues avec les chants et les danses, il se termine par tout un divertissement rustique, repas sur l’herbe, jeux, figures de ballet et farandole finale.
Les musiques n’ont pas été composées par Adam de la Halle lui-même, ni même composées pour l’œuvre. Il s’agit d’un recueil de chansons à la mode de l’époque et réemployées dans l’œuvre.
Le jeu de Robin et Marion (extrait) par l’Ensemble Perceval, direction Guy Robert.
Scène 1 – Marion (Marote) et le Chevalier (Aubert)
L’enregistrement intégral de la pièce nous fait vivre ce théâtre à la manière de la Commedia dell’arte (qui n’apparaîtra qu’au XVI°). On retrouve un peu l’ambiance des Visiteurs !
Argument du Jeu de Robin et Marion
Un chevalier, Aubert, rencontre Marion, une jeune bergère, près d’une forêt. Il tente de la séduire. Mais celle-ci, amoureuse de Robin, un paysan de son village, repousse ses avances. Tandis que le chevalier s’éclipse, Robin arrive, et les deux jeunes gens déjeunent sur l’herbe au bord de la forêt.
Robin part ensuite chercher leurs amis au village, en vue de donner une fête champêtre.
Le chevalier revient tandis que Marion est restée seule. Il l’enlève, mais devant la détermination de la jeune femme à ne pas se laisser séduire, il la laisse repartir (Ouf ! C’est #metoo-compatible !), non sans avoir auparavant rossé Robin, qui est revenu entretemps.
Une fois le chevalier définitivement reparti, les campagnards s’amusent à différents jeux, un moment interrompus par la nouvelle qu’un loup a dérobé une des brebis de Marion. Robin ramène l’animal endolori, et les jeux reprennent.
Le jeu de Robin et Marion (extraits) par l’Ensemble Micrologus : voyez la diversité des instruments utilisés.
Dans les extraits précédents il y a la chanson « Or est Baiars en la pasture, Hure ».
En voici quelques autres interprétations (il y en a beaucoup, car cette pièce est fréquente dans les répertoires des ensembles de musique ancienne et de chant choral)…
Par le Höfische Liebeslieder aus Nordfrankreich :
Par le Fortune’s Wheel :
Une version intéressante pour l’accumulation progressive des voix par Anne Azéma · Aziman Ensemble :
Ces différentes versions illustrent les difficultés d’interprétations de la musique de cette époque, surtout quand on voit les manuscrits ! Ici celui d’une autre chanson à 3 voix : Bonne amourette me tient gai…
Petit retour à Bayard… Là, il fallait oser !… Je préfère ne pas les nommer… 😀
Pour terminer ce panorama d’Adam de la Halle, je vous propose un extrait d’un disque magnifique, puis le disque intégral (non réédité), par l’ensemble LES JARDINS DE COURTOISIE dirigé par sa fondatrice Anne Delafosse-Quentin, soprano, ici avec Lisandro Nesis, ténor, et Paulin Bündgen contre-ténor. Voir la présentation ici.
Sommaire du CD :
- [00:00] 1. Amours m’ont si douchement (Chanson XV) 9’28
- [09:30] 2. Bonne amourete me tient gai (Rondeau XIV) 0’18
- [09:49] 3. On me deffend que mon cuer pas ne croie (Chanson VII) 3’27
- [13:10] 4. Merchi, Amours (Instrumental) 1’45
- [15:02] 5. Puis que je sui de l’amourouse loi (Chanson XXVII) 4’52
- [19:55] 6. Merchi, Amours, de le douche dolour (Chanson XII) 5’50
- [25:48] 7. Diex! Comment porroie (Rondeau XII) 1’29
- [27:17] 8. Helas! N’est mais nus qui aint (Chanson V) 6’23
- [33:40] 9. Or voy jou bien qu’il souvient (Chanson XXVI) 2’33
- [36:14] 10. A jointes mains vous proi (Rondeau X) 0’51
- [37:06] 11. Glorieuse Vierge Marie (Chanson XXVIII) 4’35
- [41:44] 12. D’amoureus cuer voel chanter (Chanson I) 4’43
- [46:30] 13. Amours et ma dame aussi (Rondeau VIII) 1’07
- [47:38] 14. On demande mout souvent (Chanson XIII) 9’01
- [56:40] 15. Fi! Maris, de vostre amour (Rondeau VI) 0’45
- [57:24] [01:01:13] 16. Ma douche dame et Amours (Chanson XVII) 5’13
- [01:02:38] 17. Qui a puchele ou dame amee (Chanson XXXIV) 10’41
- [01:09:16]