Gustav Mahler (1860-1911) : Kindertotenlieder (1905)
Cette œuvre, si poignante, est un exemple particulièrement dense et profond de la force de l’art dans sa dimension cathartique face au deuil de la perte d’un enfant.
Le poète allemand Friedrich Rückert (1788-1866) a écrit 428 poèmes à la suite de la perte de deux de ses enfants.
Gustav Mahler en choisit 5 qu’il commença à mettre en musique avant de perdre lui-même un enfant.
Si Alma Mahler, son épouse, y vit une provocation du destin, ce qu’on peut naturellement comprendre, je suis frappé par l’intensité de la compassion exprimée par Gustav Mahler avant qu’il ne soit confronté lui-même à pareil deuil.
Alors que nous sommes confrontés tous les jours aux conséquences dramatiques des capacités destructrices de l’être humain, constater les bienfaits de ses capacités de compassion peut être une source de réconfort et d’espoir.
Ces poèmes de Rückert, transcendés par la musique de Mahler, puisent dans la douleur la force de faire jaillir la lumière à travers les larmes, et comme le soleil à travers la pluie, l’arc-en-ciel éphémère emporte avec lui une part du chagrin et allège le fardeau…
Je vous propose deux versions historiques de cette œuvre. Une féminine avec Kathleen Ferrier sous la direction de Bruno Walter (1949), et une masculine avec Dietrich Fischer-Dieskau sous la direction de Rudolf Kempe (1955).
Plusieurs options sont possibles également pour cette écoute :
- Écouter le cycle intégral soit dans la version mezzo-soprano, soit dans la version baryton
- Lire les poèmes et leur traduction avant de les écouter
- Écouter en lisant chaque poème séparément…
Kathleen Ferrier sous la direction de Bruno Walter (23’22 »)
Dietrich Fischer-Dieskau sous la direction de Rudolf Kempe (24’28 »)
Voici le texte des poèmes en allemand et une traduction française
1. Nun will die Sonn’ so hell aufgehn
Nun will die Sonn’ so hell aufgehn,
Als sei kein Unglück die Nacht geschehn!
Das Unglück geschah nur mir allein!
Die Sonne, sie scheinet allgemein!
Du musst nicht die Nacht in dir verschränken,
Musst sie ins ew’ge Licht versenken!
Ein Lämplein verlosch in meinem Zelt!
Heil sei dem Freudenlicht der Welt!
2. Nun seh’ ich wohl, warum so dunkle Flammen
Nun seh’ ich wohl, warum so dunkle Flammen
Ihr sprühtet mir in machem Augenblicke.
O Augen! O Augen!
Gleichsam, um voll in einem Blicke
Zu drängen eure ganze Macht zusammen.
Doch ahnt’ ich nicht, weil Nebel mich umschwammen,
Gewoben, vom verblendenden Geschicke,
Daß sich der Strahl bereits zur Heimkehr schicke,
Dorthin, von wannen alle Strahlen stammen.
Ihr wolltet mir mit eurem Leuchten sagen:
Wir möchten nah dir bleiben gerne!
Doch ist uns das vom Schicksal abgeschlagen.
Sieh’ uns nur an, denn bald sind wir dir ferne!
Was dir nur Augen sind in diesen Tagen:
In künft’gen Nächten sind es dir nur Sterne.
3. Wenn dein Mütterlein tritt zur Tür herein
Wenn dein Mütterlein tritt zur Tür herein,
Und den Kopf ich drehe, ihr entgegen sehe,
Fällt auf ihr Gesicht erst der Blick mir nicht,
Sondern auf die Stelle, näher nach der Schwelle,
Dort, wo würde dein lieb Gesichten sein,
Wenn due freudenhelle trätest mit herein,
Wie sonst, mein Töchterlein.
Wenn dein Mütterlein tritt zur Tür herein,
Mit der Kerze Schimmer, ist es mir, als immer
Kämst due mit herein, huschtest hinterdrein,
Als wie sonst ins Zimmer!
O du, des Vaters Zelle,
Ach, zu schnell erloschner Freudenschein!
4. Oft denk’ ich, sie sind nur ausgegangen
Oft denk’ ich, sie sind nur ausgegangen!
Bald werden sie wieder nach Hause gelangen!
Der Tag ist schön! O sei nicht bang!
Sie machen nur einen weiten Gang!
Jawohl, sie sind nur ausgegangen
Und werden jetzt nach Hause gelangen!
O, sei nicht bang, der Tag is schön!
Sie machen nur den Gang zu jenen Höh’n!
Sie sind uns nur vorausgegangen
Und werden nicht wieder nach Hause gelangen!
Wir holen sie ein auf jenen Höh’n
Im Sonnenschein!
Der Tag is schön auf jenen Höh’n!
5. In diesem Wetter, in diesem Braus
In diesem Wetter, in diesem Braus,
Nie hätt’ ich gesendet die Kinder hinaus!
Man hat sie getragen hinaus,
Ich durfte nichts dazu sagen!
In diesem Wetter, in diesem Saus,
Nie hätt’ ich gelassen die Kinder hinaus,
Ich fürchtete sie erkranken;
Das sind nun eitle Gedanken,
In diesem Wetter, in diesem Graus,
Nie hätt’ ich gelassen die Kinder hinaus,
Ich sorgte, sie stürben morgen;
Das ist nun nicht zu besorgen.
In diesem Wetter, in diesem Graus,
Nie hätt’ ich gesendet die Kinder hinaus,
Man hat sie hinaus getragen,
Ich durfte nichts dazu sagen!
In diesem Wetter, in diesem Saus,
In diesem Braus,
Sie ruh’n als wie in der Mutter Haus,
Von keinem Sturm erschrecket,
Von Gottes Hand bedecket,
Sie ruh’n wie in der Mutter Haus.
1. À présent, le soleil va se lever, aussi brillant
À présent, le soleil va se lever, aussi brillant
Que si nul malheur n’était arrivé cette nuit.
Le malheur n’est arrivé qu’à moi seul.
Le soleil, lui, brille pour tout le monde.
Tu ne dois pas étreindre la nuit en toi,
Tu dois la verser dans la lumière éternelle.
Une petite lumière s’est éteinte sous ma tente.
Salut, ô lumière joyeuse de ce monde.
2. Maintenant je vois bien le pourquoi des flammes si sombres
Maintenant je vois bien le pourquoi des flammes si sombres
Que vous me jetiez à chaque instant.
Ô yeux, comme pour d’un regard
Faire passer ensemble toutes vos forces.
Mais je ne devinais pas, car un brouillard m’enveloppait,
Tissé de destinées aveuglantes,
Que ce rayon vous ramenait déjà vers votre foyer,
Là-bas, d’où proviennent tous les rayons.
Vous vouliez me dire, par vos lumières :
« Nous aimerions tant rester à jamais près de toi !
Mais cela nous est refusé par le destin. »
Regarde-nous, car bientôt nous serons loin de toi !
Ce qui n’est pour toi encore que des yeux en ces jours,
Dans les nuits à venir ne sera plus pour toi que des étoiles. »
3. Quand ta maman apparaît à la porte
Quand ta maman apparaît à la porte,
Et que je tourne la tête, pour la voir,
Ce n’est pas sur son visage que tombe d’abord mon regard,
Mais à l’endroit, plus près du seuil,
Là, où serait ton cher visage,
Si, rayonnante de joie, tu entrais avec elle
Comme autrefois, ma petite fille.
Quand ta maman apparaît à la porte,
À la lueur de la bougie, c’est pour moi toujours
Comme si tu entrais avec elle, te glissant derrière elle,
Comme autrefois, dans la pièce !
Ô toi, chair de ton père,
Ah, joyeuse apparition trop vite éteinte !
4. Souvent je pense qu’ils sont seulement partis se promener
Souvent je pense qu’ils sont seulement partis se promener !
Bientôt ils seront de retour à la maison !
C’est une belle journée ! Ô n’aie pas peur !
Ils ne font qu’une longue promenade !
Mais oui, ils sont seulement partis se promener,
Et ils vont maintenant rentrer à la maison !
Ô, n’aie pas peur, c’est une belle journée !
Ils sont seulement partis se promener vers ces hauteurs !
Ils sont seulement partis avant nous,
Et ne demanderont plus à rentrer à la maison !
Nous les retrouverons sur ces hauteurs,
Dans la lumière du soleil !
La journée est belle sur ces sommets !
5. Par ce temps, par cette averse
Par ce temps, par cette averse,
Jamais je n’aurais envoyé les enfants dehors.
Ils ont été emportés dehors,
Je ne pouvais rien dire !
Par ce temps, par cet orage,
Jamais je n’aurais laissé les enfants sortir,
J’aurais eu peur qu’ils ne tombent malades ;
Maintenant, ce sont de vaines pensées.
Par ce temps, par cette horreur,
Jamais je n’aurais envoyé les enfants dehors.
J’étais inquiet qu’ils ne meurent demain ;
Maintenant, je n’ai plus à m’en inquiéter.
Par ce temps, par cette horreur !
Jamais je n’aurais envoyé les enfants dehors !
Dehors ils ont été emportés,
Je ne pouvais rien dire !
Par ce temps, par cette averse,
Par cet orage,
Ils reposent comme dans la maison de leur mère,
Effrayés par nulle tempête,
Protégés par la main de Dieu.
Vous pouvez également lire la présentation du cycle par la Société Gustav Mahler – France :
Kindertotenlieder (Chants pour les enfants morts)
Je vous recommande aussi la lecture de ce texte du scénographe Aleksi Barrière « AUTOUR DES « KINDERTOTENLIEDER »«
Avec mes meilleures pensées à Yann et Sonia…