Écoute musicale n°23
Écoute musicale n°23

Écoute musicale n°23

Richard Wagner (1813-1883) : Prélude et mort d’Isolde extrait de « Tristan et Isolde ».

Richard Wagner a dominé le Romantisme allemand et profondément influencé ses contemporains. Titan de l’histoire de la musique par sa recherche novatrice d’un art total incluant non seulement la musique, mais aussi l’écriture du livret et la conception d’une salle de concert adaptée à la puissance de l’orchestre pour y inclure les voix des solistes qui se fondent dans les oreilles des spectateurs-auditeurs (mieux que dans celles des chefs d’orchestre) : le célèbre Palais de festivals de Bayreuth.

Une particularité de l’opéra wagnérien est le rôle joué par l’orchestre. Les « Leitmotiv » sont des motifs représentant des personnages, des objets ou des sentiments. L’orchestre peut ainsi faire entendre des éléments sous-entendus pendant les airs des chanteurs, révélant ses pensées ou arrière-pensées. L’orchestre devient ainsi un personnage à lui tout seul, et non seulement un faire-valoir des personnages. Il participe à l’intrigue en un flux quasi ininterrompu.

Ce procédé sera repris plus tard par Claude Debussy dans « Pelléas et Mélisande », pourtant à l’opposé du style de Wagner duquel il fut un des premiers à s’affranchir délibérément.

Je vous propose d’écouter un des sommets de l’histoire de la musique, qui détermina un « avant » et un « après » : le Prélude et mort d’Isolde extrait de « Tristan et Isolde ». Deux versions de concert : Emmanuel Krivine et l’Orchestre National de France, avec Ann Petersen dans le rôle d’Isolde, et Herbert von Karajan et le Wiener Philharmoniker avec Jessye Norman dans le rôle d’Isolde.
La version de Krivine est présentée sous 3 formes : le Prélude orchestral seul (10’06 »), la Mort d’Isolde (7’30 »), et le tout enchaîné (16’36 »). Les textes explicatifs sont extraits des présentations respectives sur YouTube.

1. Version Ann Petersen / Emmanuel Krivine et l’Orchestre National de France

Prélude (10’06 »)

Mort d’Isolde – Ann Petersen (7’30 »)

Prélude et mort d’Isolde (16’36 ») – Les deux pièces enchaînées…

Texte de présentation du concert diffusé sur YouTube par Radio-France :

L’Orchestre national de France sous la direction d’Emmanuel Krivine joue le Prélude et Liebestod extraits de Tristan et Isolde, composé par Richard Wagner. Extrait du concert donné le 23 mai 2019 à la Maison de la Radio. Il est rare de pouvoir assigner une date précise à une révolution artistique. Pourtant, on considère généralement que le 10 juin 1865 est née la modernité musicale. Ce jour-là, au Hoftheater de Munich, est créé Tristan et Isolde, « action » musicale composée quelques années plus tôt et que Wagner avait échoué à faire représenter jusqu’à sa rencontre avec Louis II de Bavière en 1864. Le choc est d’une intensité telle que le public est saisi d’un enthousiasme extraordinaire. Devant la perfection de l’interprétation portée par le couple Malvina et Ludwig Schnorr von Carosfeld, Wagner s’écrie après la troisième représentation, le 19 juin 1865 : « Plus jamais ! » Quant au jeune Friedrich Nietzsche, il insistera dans La Naissance de la tragédie à partir de l’esprit de la musique (1872) sur le charme dangereux de Tristan et Isolde, qui brise l’auditeur assez imprudent pour se jeter dans les flots de la musique wagnérienne sans la médiation du langage et des personnages : Tristan permet de faire l’expérience du dionysiaque à l’époque moderne. Le prélude de Tristan et Isolde plonge l’auditeur dans un océan symphonique dès les premières mesures, où le thème du désir, avec son chromatisme inquiet et douloureux, est répété trois fois avec toujours plus d’insistance avant l’explosion orchestrale. Musique sensuelle, frémissante de désir et de passion, dont l’analyse a été réalisée maintes fois depuis la fin du XIXe siècle sans jamais épuiser l’impression que les modulations infinies et les rythmes assouplis par des syncopes perpétuelles produisent sur l’auditeur. Dans le Prélude, Wagner tire parti d’une technique d’écriture élaborée progressivement depuis Le Vaisseau fantôme afin d’exprimer la passion incandescente qui unit Tristan et Isolde et qui trouve son accomplissement au troisième acte. Bien plus qu’une simple ouverture, le prélude est doté d’une fonction dramatique essentielle : exprimer musicalement le lien entre le désir et la mort qui précède la transfiguration de l’amour de Tristan et d’Isolde au cours de la scène finale. Le Liebestod ou « mort d’amour », par laquelle s’achève le drame, est donc traditionnellement jointe au prélude. Au decrescendo conclusif du prélude répond une immense crescendo où la voix de la soprano s’associe amoureusement aux effluves orchestraux. La tonalité de si majeur, qui s’affirme peu à peu, dissipe dans une lumière extatique les dissonances douloureuses du prélude tandis qu’Isolde expire dans une joie charnelle et spirituelle résumée par l’ultime mot du drame : Lust (« joie »).

Texte de l’aria « Liebestod » : original en allemand et traduction française.

Mild und leise
wie er lächelt,
wie das Auge
hold er öffnet
seht ihr’s Freunde?
Seht ihr’s nicht?
Immer lichter
wie er leuchtet,
stern-umstrahlet
hoch sich hebt?

Seht ihr’s nicht?
Wie das Herz
ihm mutig schwillt,
voll und hehr
im Busen ihm quillt?
Wie den Lippen,
wonnig mild,
süßer Atem
sanft entweht Freunde!
Seht! Fühlt
und seht ihr’s nicht?

Hör ich nur
diese Weise,
die so wunder
voll und leise,
Wonne klagend,
alles sagend,
mild versöhnend
aus ihm tönend,
in mich dringet,
auf sich schwinget,
hold erhallend
um mich klinget?

Heller schallend,
mich umwallend,
sind es Wellen
sanfter Lüfte?
Sind es Wogen
wonniger Düfte?

Wie sie schwellen,
mich umrauschen,
soll ich atmen,
soll ich lauschen?
Soll ich schlürfen,
untertauchen?
Süß in Düften
mich verhauchen?

In dem wogenden Schwall,
in dem tönenden Schall,
in des Welt-Atems
wehendem All
ertrinken,
versinken
unbewußt
höchste
Lust!

Doux et silencieux
comme il sourit,
comme l’œil
qu’il ouvre avec douceur
le voyez-vous, mes amis ?
Ne le voyez-vous pas ?
Toujours plus lumineux
comme il brille,
rayonnant d’étoiles
qui s’élève ?

Ne le voyez-vous pas ?
Comme son cœur
il se gonfle de courage,
plein et noble
dans son sein ?
Comme les lèvres,
douces et délicieuses,
un doux souffle
s’échappe doucement de mes amis !
Ne le sentez-vous pas,

ne le voyez-vous pas ?

J’entends seulement
cette manière,
qui est si merveilleuse
pleine et silencieuse,
se plaignant de la joie,
qui dit tout,
réconciliant avec douceur
qui résonne en lui,
s’enfonce en moi,
se balance sur lui,
en résonnant de manière agréable
résonne autour de moi ?

Plus clair, plus retentissant,
qui m’entoure,
ce sont des vagues
de doux airs ?
Est-ce que ce sont des vagues
de parfums délicieux ?

Comme elles se gonflent,
me bercent,
je dois respirer,
dois-je écouter ?
Dois-je siroter ?
m’immerger dans l’eau ?
Doux dans les parfums
me volatiliser ?

Dans le flot ondoyant,
dans le son qui résonne,
dans le souffle du monde
dans l’univers flottant
se noient,
s’enfoncent
inconsciemment
suprême
Joie !

Texte de présentation du concert diffusé sur YouTube par Adagietto :

Friedrich Nietzsche, qui dans ses jeunes années était l’un des plus fidèles alliés de Wagner, a écrit que, pour lui, « Tristan et Isolde est le véritable opus metaphysicum de tout l’art… insatiable et douce soif des secrets de la nuit et de la mort… il est accablant dans sa simple grandeur ». Dans une lettre adressée à son ami Erwin Rohde en octobre 1868, Nietzsche décrit sa réaction au Prélude de Tristan : « Je ne peux tout simplement pas me résoudre à rester à l’écart de cette musique d’un point de vue critique ; chaque nerf en moi est en ébullition, et il y a longtemps que je n’ai pas eu un sentiment d’extase aussi durable qu’avec cette ouverture ». Même après sa rupture avec Wagner, Nietzsche a continué à considérer Tristan comme un chef-d’œuvre : « Aujourd’hui encore, je suis à la recherche d’une œuvre qui exerce une fascination aussi dangereuse, une infinité aussi vertigineuse et béate que Tristan – je l’ai cherchée en vain, dans tous les arts ».

Tristan und Isolde est un opéra en trois actes de Richard Wagner sur un livret allemand du compositeur, basé en grande partie sur le roman de Gottfried von Straßburg. Composé entre 1857 et 1859, il a été créé à Munich le 10 juin 1865 sous la direction de Hans von Bülow. Wagner n’a pas qualifié l’œuvre d’opéra, mais l’a appelée « eine Handlung » (littéralement un drame, une intrigue ou une action), ce qui est l’équivalent du terme utilisé par le dramaturge espagnol Calderón pour ses drames. La composition de Tristan und Isolde a été inspirée par la liaison de Wagner avec Mathilde Wesendonck et par la philosophie d’Arthur Schopenhauer. Largement reconnu comme l’un des sommets du répertoire lyrique, Tristan se distingue par l’utilisation avancée par Wagner du chromatisme, de la tonalité, de la couleur orchestrale et de la suspension harmonique.

L’opéra a exercé une profonde influence sur les compositeurs classiques occidentaux et a inspiré des compositeurs tels que Gustav Mahler, Richard Strauss, Karol Szymanowski, Alban Berg et Arnold Schoenberg. Beaucoup considèrent Tristan comme le début de l’abandon de l’harmonie et de la tonalité conventionnelles et estiment qu’il jette les bases de l’orientation de la musique classique au XXe siècle.

Ce n’est qu’après que Louis II de Bavière soit devenu le mécène de Wagner (il a accordé au compositeur une généreuse allocation et a soutenu d’autres manières les efforts artistiques de Wagner) que des ressources suffisantes ont pu être trouvées pour organiser la première de Tristan und Isolde. Hans von Bülow a été choisi pour diriger la production à l’Opéra de Munich, en dépit du fait que Wagner avait une liaison avec sa femme, Cosima von Bülow.

2. Version Herbert von Karajan / Jessye Norman

Richard Wagner Tristan et Isolde, Opéra, WWV 90. Acte I. Prélude & Acte III. Mild und Leise (Liebestod) | Jessye Norman. Wiener Philharmoniker, Herbert von Karajan. Jessye Norman apparaît avec l’aimable autorisation d’EMI Classics Records Ltd. Deutsche Grammophon, Polydor International GmbH. Universal Music Group.
Les adieux de Herbert von Karajan à Wagner Salzbourg, Großes Festspielhaus, VIII.1987.

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