Écoute musicale n°12
Écoute musicale n°12

Écoute musicale n°12

Après cette série de valses, au programme aujourd’hui un grand compositeur connu entre autres pour ses valses (indansables comme le dit le texte cité in fine) : Frédéric Chopin (1810-1849). Je vous propose pourtant de quitter les valses pour écouter sa Fantaisie en Fa mineur Op.49 par Krystian Zimerman. L’immense pianiste-compositeur franco-polonais joué par un grand pianiste polonais.

Composée en 1841, à l’âge de 31 ans, la même année que sa 3ème Ballade Op.46, cette Fantaisie est parfois considérée comme sa 5ème Ballade.

La forme libre en fait un voyage qui commence par une marche sombre, traversera des épisodes effrénés aussi bien que des temps de méditation et un choral impérieux (ça dépend des interprètes).

La liberté vient aussi du rythme : une grande partie de l’œuvre confronte le binaire et le ternaire, superposés, ce qui donne une souplesse incroyable au discours. Techniquement, c’est d’une redoutable virtuosité pianistique, mais le génie de Chopin, comme de ses grands interprètes, est de reléguer cette virtuosité au second plan, le premier étant toujours la poésie…

Je vous souhaite une belle écoute !

Dans un deuxième temps, si vous voulez suivre la partition en même temps, voici un lien : 

https://youtu.be/kDP3QJyun0I 8 interprétations successives : Kissin, Zimerman, Pollini, Lugansky, Ashkenazy, Moravec, Rubinstein, et Michelangeli.

Vous pourrez constater que les indications de pédale sont très souvent contradictoires avec les silences qu’elle couvre, mais je ne sais pas si la partition présentée est juste sur ce point-là…

Dans tous les cas, le traitement de la pédale, si délicat au piano pour la clarté du phrasé, est déterminant dans cette œuvre et constitue un des points clé des différentes interprétations, avec les choix des tempi, évidemment, et des progressions dynamiques, ainsi que le traitement du rubato… Enfin, tout compte !!

A cet égard, je trouve Krystian Zimerman très intéressant, tour à tour sombre et extatique. (Attention à l’articulation dans l’intro), comme le dit le commentateur.

Bon week-end !

Christophe.

PS: à force de reprendre ce courriel et d’y ajouter des éléments, il en devient fleuve et un peu décousu, toutes mes excuses… 

La personne (Ashish Xiangyi Kumar ?) qui a publié sur YouTube cette partition visio/audio en donne une analyse très intéressante.

De plus, la comparaison des interprétations est facilitée par le repérage en chapitres en bas de page : cliquez sur « plus » à la fin du texte de présentation en anglais, au-dessus des commentaires…

Si vous avez le temps, je vous recommande de comparer toutes ces interprétations en écoutant seulement la marche du début, c’est édifiant !

L’avantage des fantaisies est qu’elles offrent une grande liberté d’interprétation, car elles sont moins étroitement liées à une structure et sont censées sonner au moins un peu comme des improvisations. Voici donc huit interprétations remarquables (et très différentes) de l’une des plus grandes œuvres de Chopin, parfois appelée la 5e Ballade. (La Fantaisie en fa mineur est une œuvre extraordinairement puissante, mais il est assez difficile de comprendre ce qu’elle essaie de dire exactement. On y trouve de longs passages élégiaques, un mélodisme abondant, des lamentations intenses, trois marches de caractère radicalement différent, des flirts avec la forme sonate / rondo / cyclique, et l’une des créations les plus épiphaniques de Chopin, le choral en si majeur, qui surgit inexplicablement au milieu de la pièce pour interrompre ce qui aurait pu être perçu comme une forme sonate déformée. Il y a peu de choses dans cette pièce qui ne soient pas brillantes : considérez, par exemple, comment le schéma modulatoire du groupe principal de 5 thèmes (modulation en tierces) est lui-même contenu dans le prélude / passage de transition, et comment ce schéma de déplacement en tierces s’étend en fait au-delà des 5 thèmes principaux pour faire le lien entre le développement et la reprise (ou récapitulation), puisque vous pouvez voir le mouvement de sol majeur à si mineur (avec le si majeur qui s’interrompt). Ou encore, la tension entre fa mineur (la tonalité de l’œuvre) et si majeur (la tonalité du choral, à un triton d’écart) est déjà présente dans la toute première marche (1:16).

https://youtu.be/clLF8GQuYRw 3 interprétations successives (40′ en tout) : la 1ère de Gabriel Tacchino (pianiste français,décédé en janvier dernier, unique disciple de Francis Poulenc), la 2ème par Evgenia Rubinova, et la 3ème par Yulianna Avdeeva. Il en propose aussi une analyse intéressante que voici traduite en français (vive DeepL !) :

Voici un bref aperçu de la structure de base : 

1. INTRODUCTION
a. Marche I (00:00)
b. Marche II (1:39)
2. PRÉLUDE/PONT (3:17)
3. EXPOSITION
a. Thème I (fa mineur) (4:11)
b. Thème II (Ab majeur) (4:28)
c. Thème III (do mineur) (4:55)
d. Thème IV (mi b majeur) (5:19)
e. Thème V (Marche III, Mib majeur) (5:45)
4. PONT (6:12)
5. DÉVELOPPEMENT
a. Thème I (do mineur) (6:30)
b. Thème II (sol majeur) (6:49)
6. PONT (7:18)
7. INTERLUDE – CHORAL (si majeur) (8:05)
8. PONT (9:56)
9. REPRISE/RECAPITULATION
a. Thème I (Sib mineur) (10:12)
b. Thème II (Sib majeur) (10:28)
c. Thème III (fa mineur) (10:55)
d. Thème IV (Ab majeur) (11:19)
e. Thème V (Ab majeur) (11:44)
10. PONT (12:11)
11. CODA (12:25)

Il s’agit probablement de la fantaisie en un seul mouvement la moins fantaisiste jamais écrite. Une grande partie de ce qui fait le charme de ce chef-d’œuvre est essentiellement anti-spontané : organisation tonale à grande échelle, répétitions structurées, anticipation subtile des motifs. (Cela dit, il convient de noter que Chopin a pris l’habitude de contredire les attentes du genre : sa Barcarolle n’est pas une barcarolle, les Scherzi ne sont pas du tout drôles ni même légers, les Valses sont totalement indansables, les Préludes ne sont pas des préludes à quoi que ce soit, les Nocturnes rendent Field inécoutable…).

Pour donner une idée de la perversité de cette œuvre, considérez la seule texture de l’œuvre qui semble réellement improvisée (tout le reste est trop dense harmoniquement) : la transition « prélude » à 3:13. Ce petit morceau de musique – aussi merveilleux soit-il sur le plan textuel – contient, sous une forme ultra-comprimée, toute la disposition tonale des cinq thèmes principaux de l’œuvre (fa, la, do, mib). L’unification d’une texture momentanée avec une progression tonale à grande échelle est le genre d’astuce grandiose associée à Beethoven et Schubert, et il est agréable de la voir apparaître chez Chopin également. De plus, cette transition de prélude est utilisée pour générer tout le matériel de transition de l’ensemble de l’œuvre – voir 6:16, 7:24 (et similaires), ainsi que la fioriture finale. 

Il y a également beaucoup d’autres éléments structurels, le plus important étant probablement l’hymne radieux en si qui occupe le milieu de l’œuvre. L’hymne – contrairement à la section centrale de la Polonaise-Fantaisie, par exemple – n’a absolument aucun lien thématique avec le reste de l’œuvre : il est là comme une libération magique, d’un autre monde, et ne prétend à rien d’autre. Mais l’ingéniosité tonale n’est pas en reste : la tonalité de cette section par rapport à l’ensemble de l’œuvre (si à fa mineur) est anticipée par les deux thèmes qui précèdent immédiatement l’hymne, qui ont été délibérément réarrangés pour être dans les tonalités de do mineur et de sol bémol. Et la façon dont le morceau trouve une dernière pause – l’hymne à 12:28 – extatiquement sanglante et tendre à la fois – est une touche fantastique. 

Il va sans dire que cette œuvre ne se résume pas à sa structure. Tout comme la Polonaise-Fantaisie est une méditation plutôt abstraite sur l’idée de la polonaise, il s’agit ici d’une étude de la marche. Les trois (et demi, si l’on compte le thème 4 : 5:22) ont des caractères distincts. Le premier est tragique, le second est chantant et un peu plein d’espoir, le dernier oscille entre le parodique et le festif. 

00:00 – Tacchino. Je ne peux pas vous dire à quel point j’ai été heureux de trouver cet enregistrement – il est très, très, très difficile de trouver des interprétations qui sonnent réellement de manière brute, fraîche et amusante. C’est une fantaisie, cela devrait sonner, vous savez, fantastique ! L’essentiel ici est le sens de la spontanéité : écoutez la façon dont il accélère la figuration ascendante à 4:50, les liaisons audibles à 5:09, le coup de fouet (hilarant) du tempo avec l’entrée de la Marche 3 à 5:49, et le phrasé incroyablement souple de la section centrale du Lento sostenuto – en particulier la façon dont le rubato est utilisé pour mettre en valeur les points de repos importants. 

14:03 – Rubinova. Ici, tout est question de texture. Une profusion de petites choses très intelligentes et bien faites : la toute première note est staccato, les marches introductives sont constamment surdotées, les contrastes séquentiels ou simultanés sont accentués (une phrase lyrique cède la place à une marche rigide à 14:46, MG contre MD à 16:00) : 46, MG contre MD à 16:06), le thème 1 sans pédale laissant briller l’harmonisation chromatique à gauche (18:09) avant de céder la place à l’interprétation la plus délicate du thème 2 que j’ai entendue, les octaves léonines du thème 4 menant à des climax déchiquetés (sans pédale) (19:15). Même les liaisons que Tacchino introduit dans le thème 3 sont présentes, mais sous une forme beaucoup plus subtile.

27:58 – Avdeeva. Une approche très différente de celle de Tacchino ou de Rubinova – en bref, elle se concentre sur des considérations de forme et d’équilibre à grande échelle, et sur la nécessité de garder l’œuvre aussi unifiée que possible. Il y a donc très peu de rubato tout au long de l’œuvre, l’accent étant mis sur le maintien de la pulsation – mais cela rend les moments où la laisse est relâchée véritablement épiphaniques (par exemple, le ralentissement soudain lors de la charmante modulation à 29:11 ; ou les pauses agogiques pendant le point culminant de 32:33). Un autre aspect intéressant est la façon dont Avdeeva crée un élan par grands morceaux : la transition à 30:58 est prise plus rapidement qu’on ne s’y attend, mais c’est parce que toute la section est traitée comme une grande préparation à l’entrée du thème 1 – elle se construit et se construit sans relâche. Il en va de même pour la transition vers le thème 4 (32:40), qui commence à un rythme sain et se termine presque précipitammen
t.

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