Questionner ses convictions en matière de pédagogie de l’éducation musicale me semble régulièrement nécessaire.
Ça ne veut pas forcément dire qu’on doive en changer !
Il s’agit plutôt de réviser ou faire l’inventaire de ce que l’on croit indispensable à nos actions, ce qui peut évoluer avec le temps, nos lieux d’intervention, et surtout les personnes avec qui on les réalise.
Comme dans chacun de mes articles ayant trait à la pédagogie, je me garde bien de proposer des réponses définitives. Ça ne m’empêche pas d’apporter mon témoignage, qui lui-même évolue avec le temps…
Qu’est-ce qu’une conviction ? Quelques définitions :
Définitions du dictionnaire Larousse :
- État d’esprit de quelqu’un qui croit fermement à la vérité de ce qu’il pense ; certitude.
- Principe, idée qui a un caractère fondamental pour quelqu’un (surtout pluriel)
- Conscience que l’on a de l’importance, de l’utilité, du bien-fondé de ce que l’on fait ; sérieux
Définitions du dictionnaire Robert :
- Certitude fondée sur des preuves évidentes.
- Opinion ferme.
Dictionnaire de l’Académie Française :
- Sentiment que l’on a de la vérité d’un fait ou de la justesse d’une opinion, d’un principe ; certitude qui en résulte.
- Par extension. Sentiment très vif que donne une telle certitude.
Qu’est-ce qui se dégage de ces définitions ?
Un rapport plus ou moins dense entre des idées, des faits et les sentiments qui en résultent.
Il semble évident qu’un pédagogue risque de manquer d’efficacité s’il n’est pas convaincu par ce qu’il met en œuvre ou préconise de mettre en œuvre.
Il apparaît également qu’on peut être convaincu par une idée sans qu’elle s’appuie sur des faits matériels. En cela on rejoint la question de l’idéal.
Dès lors, c’est le sentiment que cette idée est vraie qui en fait une conviction, dont la base subjective peut être remise en question.
D’un autre côté, et à l’opposé, le mot « conviction » est souvent associé à un fait irréfutable : une « pièce à conviction ».
Le rapport à la pédagogie musicale ?
Il me paraît intéressant d’identifier la nature de nos convictions au plan pédagogique : lesquelles s’appuient sur des faits matériels, et lesquelles s’appuient sur des idées. Dans les deux cas, elles sont sujettes à évolution.
- Convaincu par des faits : il s’agit de l’objectivité des observations de ces faits.
Ce n’est pas parce que « on l’a toujours fait comme ça » ou « j’ai vu mon professeur faire comme ça » que cette manière de faire doit être prise pour acquise et devenir référence. Car tout est question de contexte et d’habitude.
Deux exemples :
– Jacques Chapuis prenait souvent les mains des enfants au moment d’improviser des mélodies individuellement, en dialogue. Même s’il l’avait fait toujours (ce qui n’est pas le cas), est-ce une raison pour faire pareil sans se poser de question ?…
– Dans les séquences de coups rapides avec le marteau sonore, je donnais toujours le motif 2 fois en retournant le marteau, par habitude, pour renforcer l’exemple. Jusqu’à ce qu’on me le fasse remarquer. Effectivement, ce n’était pas nécessaire et j’ai changé ma manière de faire… - Convaincu par des idées : les idées sont les éléments les plus instables. Le proverbe dit « Il n’y a que les sots qui ne changent pas d’idée ». Une idée jamais remise en question devient un dogme qui implique des obligations à respecter pour appartenir à une certaine communauté.
Le rapport avec la proposition pédagogique d’Edgar Willems ?
Willems se présentait volontiers comme un « phénoménologue », c’est-à-dire un observateur des faits constatés.
Quand il appuie ses travaux sur l’analyse de la nature humaine en rapport avec l’analyse des éléments constitutifs de la musique, il constate les différences entre les composantes et constate également les effets des interactions multiples engendrées. Devant le constat, il choisit et recommande les associations les plus pertinentes ou efficaces permettant la croissance de l’être humain vers un mieux-être, un meilleur équilibre.
Il en est venu à parler de « Méthodes » au pluriel, car elles pouvaient être différentes suivant les thèmes concernés.
Il préférait dire qu’il faut avoir de la méthode pour enseigner l’éducation musicale, c’est-à-dire qu’il faut avoir anticipé le déroulé d’un cours et d’une progression. En cela il s’inscrivait dans un courant de réflexion pédagogique et aussi philosophique sur lequel il s’était considérablement documenté.
Il ne s’agissait pas pour lui de faire table rase du passé.
C’est en interrogeant ses observations qu’il a cherché d’autres moyens pour améliorer les résultats, et ces interrogations l’ont conduit à analyser les sources : la nature humaine, la nature de la musique, et leur relations.
Il n’est pas interdit de penser et d’agir différemment. Les conséquences seront naturellement différentes.
Pourquoi choisir ce mode de pensée plutôt qu’un autre ? Ça dépend de chacun, de sa disponibilité à accueillir un point de vue différent, et à sa capacité de remise en question. Il vaut mieux éviter de plaquer sur ce choix un jugement moral.
Ainsi, d’autres propositions pédagogiques que celles de Willems conviendront mieux à d’autres types de personnalités, leur permettant de se réaliser. En cela, les méthodes pédagogiques sont souvent complémentaires.
J’ai étudié les livres d’autres grands pédagogues du XX° siècle, mais je n’ai jamais pratiqué autre chose que la « méthode Willems ». Il m’a semblé qu’elle était plus complète, à la fois dans la globalité et dans les détails, confrontant toujours l’idée et sa mise en pratique. Et cette expérience m’a permis d’évoluer tout au long de ma carrière, et de me renouveler dans la manière de réaliser des cours, par le fait même qu’ils concernaient des personnes différentes, elle-même en constante évolution.
Pour conclure par une formule : « Oui à la réflexion sur la méthode. Non au dogme ! »