Les chansons en questions
Les chansons en questions

Les chansons en questions

La place des chansons dans l’éducation musicale

Dans l’éducation musicale Willems®, les chansons ont toujours été un point central.
Parce qu’elles constituent une synthèse des éléments musicaux, Rythme, Mélodie, Harmonie, associés à un texte que la musique met en valeur, les chansons permettent de vivre très simplement que la musique est un langage.

Dans un deuxième temps, le fait d’enlever les paroles remplacées par une vocalise favorise l’expérimentation des qualités expressives de la mélodie, même sans paroles, et contribue au développement du sens mélodique.

Le choix du répertoire

La formation Willems® recommande de pratiquer dans les cours différents types de répertoires, pour couvrir les besoins de l’éducation musicale dans le temps. Il y a 6 genres différents et complémentaires, une chanson pouvant se trouver dans plusieurs genres simultanément :

  • Les chansons de 2 à 5 notes, pour favoriser une intonation juste dans un ambitus restreint et facilement transposable ;
  • Les chansons propices au développement rythmique, notamment par les frappés des 4 modes rythmiques ;
  • Les chansons pour les noms des notes, soit intégrées au texte comme des onomatopées, soit faciles à solfier pour aller vers la conscience et l’automatisme oral ;
  • Les chansons dites « d’intervalles » et « d’accords »pour leur reconnaissance ;
  • Les canons et chansons à 2 voix pour introduire et développer le sens polyphonique et harmonique :
  • Les chansons traditionnelles pour leur dimension historique et culturelle.

Les chansons traditionnelles

Les chansons traditionnelles sont souvent jugées comme « ringardes » et délaissées.

J’ai personnellement toujours défendu le répertoire traditionnel français, parce qu’il a nourri mon enfance à travers les disques de la collection « Le petit ménestrel » que je connaissais par cœur.
J’ai donc trouvé normal de chanter « Malbrough s’en va-t-en guerre », « La mère Michel », « A la claire fontaine », et j’en passe, et de les apprendre à mes jeunes élèves pour maintenir la tradition, justifiée par des explications de texte au premier degré.
Par ailleurs, j’ai rarement été séduit par les chansons contemporaines dédiées aux enfants, que je trouvais souvent fades et édulcorées.

Les autres types de répertoire

Autre répertoire abondamment pratiqué dans les écoles, pour diverses raisons pas toujours bonnes, les chansons d’origine plus ou moins exotiques, aux paroles assimilées à des onomatopées peu traduites, valorisées par des rythmes syncopés.
Je comprends très bien l’intérêt d’apprendre une chanson proposée par un enfant d’origine étrangère. C’est une bonne occasion de valoriser sa culture d’origine en facilitant son intégration. On peut même lui demander de rechercher un tel répertoire qui n’aurait pas été transmis par sa famille. La valorisation de ce répertoire valorise aussi l’enfant qui l’apporte et contribue à l’ouverture des autres à cette autre culture.

Dans la même veine, les chansons en langue étrangère peuvent être proposées par le professeur.
J’ai un très bon souvenir d’un programme de chansons de Noël à Ryméa en 9 ou 10 langues !
Les professeurs de langue savent bien que la chanson est un très bon vecteur d’apprentissage.

Les minorités culturelles savent aussi que la tradition chantée est un très bon refuge pour une langue menacée de disparition.

L’usage pédagogique de ces différents répertoires dépend largement du cadre dans lequel ils sont pratiqués : l’école maternelle et primaire n’a pas les mêmes objectifs que l’école de musique, les deux venant généralement suppléer à la perte de tradition du chant dans les familles.

Évolution sociétale

La guerre en Ukraine et le mouvement #metoo me font radicalement changer de point de vue sur le répertoire traditionnel.

Le répertoire traditionnel français est naturellement un reflet de son histoire, vantant surtout les exploits guerriers et révolutionnaires, plus rarement l’humanité d’une « Anne de Bretagne ».
Et cette histoire est sanglante !

Ça ne m’a pas empêché dans mes débuts parisiens d’apprendre à mes élèves la chanson « Jean Bart », vaillant corsaire « tuant, pendant, décapitant (l’anglais) sans même faillir un seul instant ! » Mais quelle magnifique mélodie !!
Ni de défendre « Malbrough » au prétexte que cette chanson raconte et développe un canular destiné à redonner courage aux français contre ces mêmes anglais…
Je comprends (enfin ?) aujourd’hui que ces chansons et explications contribuent à banaliser et enjoliver ces actes barbares.
Ces histoires doivent être apprises dans les cours d’histoire, pas dans les cours de musique donnés aux enfants.

La nature humaine est complexe, et « le côté obscur de la Force », toujours présent quelque part, doit être démasqué et combattu.
Ainsi les chansons décrivant et dénonçant des comportements négatifs ou violents doivent conserver une petite place dans ce répertoire.

« J’ai du bon tabac » en est une bonne illustration : « J’ai du bon tabac, tu n’en auras pas ! » Quel égoïste !!
En prime, on peut expliquer cette vieille tradition du tabac à priser, encore pratiquée dans certains pays, et tragiquement remplacé par une autre poudre blanche… Bon, c’est encore discutable !…

Le mouvement #metoo a enclenché une prise de conscience mondiale des atteintes portées aux femmes, violences cautionnées par un patriarcat tout puissant.
Ce dernier élément ne peut plus être valorisé, ni même simplement toléré. Cette surpuissance oppressante doit être combattue.
Cela commence par le fait de démonter et dénoncer les discours sexistes.

Dans la chanson enfantine, il faut donc être vigilent sur la place de la mère, le rôle dans lequel elle est placée.
Et je ne parle pas des très nombreux sous-entendus d’une lecture au second degré, très souvent grivoise ou politique, comme « Nous n’irons plus au bois » (qui dénonce la fermeture des maisons closes par Louis XIV) ou « Le bon roi Dagobert » écrit par les Sans-culottes pour se moquer de Louis XVI sous couvert de Dagobert, lointain roi du VII°s. distrait et bon vivant.

Quand « A la pêche aux moules » met en garde les jeunes filles contre les agressions des garçons de la ville, on trouve à l’opposé « Il pleut bergère » beaucoup plus respectueuse : le garçon plein de prévention annonce demander sa main à son père (mais c’est une chanson galante d’un auteur connu : Fabre d’Églantine).
Mais que penser les derniers couplets de « Il était une bergère » quand le curé pour pénitence propose d’embrasser la bergère qui veut bien recommencer ?…
Voir à ce sujet l’article « Comptines pour enfants, un double sens réservé aux adultes« .

Refrain :
À la pêche des moules
Je ne veux plus aller maman
À la pêche des moules
Je ne veux plus aller

1. Les garçons de Marenne
Me prendraient mon panier maman
Les garçons de Marenne
Me prendraient mon panier

Refrain :
À la pêche des moules
Je ne veux plus aller maman
À la pêche des moules
Je ne veux plus aller

2. Quand une fois ils vous tiennent
Sont-ils de bons enfants maman
Quand une fois ils vous tiennent
Sont-ils de bons enfants

Refrain

3. Ils vous font des caresses
Et des p’tits compliments maman
Ils vous font des caresses
Et des p’tits compliments

Refrain

Conclusion

Le répertoire des chansons enfantines est assez vaste pour y puiser celles qui nourriront l’imaginaire des enfants et développeront leur sens poétique autant que mélodique. Pour les plus célèbres, on peut éluder les strophes douteuses, et on n’est pas obligé d’interpréter « Au clair de la lune » sous l’angle érotique…
Il y a aussi beaucoup de très belles chansons à découvrir dans le répertoire contemporain.
Et pourquoi pas, en composer soi-même ?

Dans tous les cas, je vous invite à étudier de près les textes des chansons pédagogiques, que chaque mot chanté par les enfants soit compréhensible, c’est-à-dire explicable et expliqué, ce qui contribue à l’enrichissement de son vocabulaire, et dans le cas de chansons traditionnelles, faire des recherches pour en connaître l’origine et les choisir en connaissance de cause.

Pour terminer, voici une merveilleuse chanson adoptée par un grand artiste musicien-poète argentin, Atahualpa Yupanqui : « Duerme negrito ». Elle illustre bien ce que j’ai souhaité dire dans cet article : la tendresse de la berceuse, le dur labeur de la femme qui travaille, la menace du patron blanc, les rêves qu’elle préfère transmettre à son enfant…

Annexes

3 commentaires

  1. Commentaire de Eulàlia, de Catalogne.

    Cher Christophe, j’ai relu ton article sur les chansons et, d’une part, c’est une bonne synthèse des objectifs des chansons en éducation musicale et, d’autre part, c’est une réflexion intéressante sur l’utilisation des chansons traditionnelles.
    Je te remercie pour cette phrase car tu fais preuve de sensibilité et de respect pour les langues qui, comme la mienne, n’ont pas d’État pour les protéger, au contraire, car trop souvent, les États sont les pires ennemis de ces langues :
    « Les minorités culturelles savent aussi que la tradition chantée est un très bon refuge pour une langue menacée d’extinction. »

    Traduit avec http://www.DeepL.com/Translator (version gratuite)

  2. Commentaire de Eulàlia, de Catalogne.

    Ah ! Et merci pour le lien vers l’enregistrement « Duerme negrito ». Atahualpa Yupanqui dit des choses très importantes dans le commentaire qui précède la chanson.
    J’ai adoré.

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