L’Ars Antiqua – XIII° siècle
Franco de Cologne (entre 1210 et 1270)
Franco de Cologne, milieu du XIII° siècle, également connu sous le nom de Franco de Paris, était un théoricien allemand de la musique et peut-être un compositeur. Il fut l’un des théoriciens les plus influents de la fin de l’époque médiévale et fut le premier à proposer une idée qui allait transformer définitivement la notation musicale : la durée d’une note devait être déterminée par son apparence sur la page, et non par le seul contexte. C’est ainsi qu’est née la notation franque.
Il a développé la forme du « motet franconien » polytextuel, une composition généralement vocale à trois voix avec un texte différent pour chaque partie. Les différents textes peuvent se compléter ou se contredire ; l’un peut être profane et l’autre sacré ; ils peuvent même être rédigés dans des langues différentes (français ou latin)!
Ces motets, composés vers 1250-1280, diffèrent des motets de l’école Notre-Dame antérieurs en ce qu’ils n’utilisent pas les modes rythmiques, que le triplum (voix supérieure) est plus subdivisé et que les textes multiples peuvent également être en plusieurs langues.
J’ai mis – Je n’en puis – Puerorum – Ici deux voix conduites par David Fenwick Wilson.
Ave Gloriosa Mater Salvatoris (motet)
Dans cette pièce, vous verrez que le chant grégorien monodique n’est pas loin. On sent qu’il reste la référence d’où s’échappent deux autres voix…
Première version par The Hilliard Ensemble de David Fenwick Wilson.
Ancienne interprétation (enregistrement de 1940) parYves Tinayre (ténor) et La Psallette Notre-Dame – Direction: Jacques Chailley.
Je trouve émouvant cet enregistrement de 1940, témoignage des premières recherches enregistrées de cette musique d’un autre âge, comme sortie des catacombes ! Je l’ai nettoyé comme j’ai pu pour le rendre audible. Je pense que les musicologues d’aujourd’hui ne feraient pas tous ces ralentis en fin de phrase… Mais Jacques Chailley* a été pionnier.
Voici ces 3 enregistrements de motets franconiens mis bout à bout (7’43)
Petrus de Cruce (Pierre de la Croix) (vers 1270 – vers 1347)
Petrus de Cruce était actif en tant que clerc, compositeur et théoricien à la fin du XIII° siècle.
Dans la musique de ses prédécesseurs, chaque brève pouvait être divisée en trois demi-brèves « parfaites » ou en deux demi-brèves « imparfaites » (la perfection était ternaire en reflet de la Sainte Trinité, le dogme catholique régissant tout). Sa principale innovation a été d’augmenter le nombre de subdivisions possibles de la « brève », la plus courte des deux principales unités rythmiques de la musique médiévale.
Les compositeurs de la fin du XIII°s. voulaient conserver des rythmes vocaux dans leurs tripla, ils ont cherché un moyen de diviser le tempus en plus de trois demi-breves, ce qui, en notation moderne, équivaudrait à un tuplet (triolet, quartolet, quintuplet, etc.). Petrus de Cruce a proposé que la brève soit divisée en autant de parties que le compositeur le souhaitait. Dans la pratique, il en utilisait jusqu’à sept. Sa principale contribution a été le système de notation.
Les motets qui procèdent ainsi portent le nom de « Petronien ».
En voici des exemples :
Amours qui – Solem justicie – Solem – par The Hilliard Ensemble, deux voix conduites par David Fenwick Wilson
S’amours eûst point de poer
Par le Praetorius Consort · Christopher Ball · Grayston Burgess · Purcell Consort of Voices
Je cuidoie bien metre jus/Se j’ai folement amé/Solem (Motet)
Par le Höfische Liebeslieder aus Nordfrankreich
Version instrumentale : Chalemie, Douçaine (ou doulciane) et Viole de Gambe, ensemble dirigé par Stephen Duncan
Si vous voulez suivre la partition, voyez ci-dessous…
Aucun ont trouvé chant par usage/Lonc tans me sui tenu de chanter/Annuntiantes (Motet)
Par le Höfische Liebeslieder aus Nordfrankreich
Aucun ont trouvé · Charles Brett · Martyn Hill · The Early Music Consort Of London · David Munrow
Version à 2 voix + viole de gambe.
Aucun ont trouvé – Version par un ensemble d’hommes : Blue Heron dirigé par Scott Metcalfe
Voici ces 7 enregistrements de motets pétroniens mis bout à bout (18’22)
*A propos de Jacques Chailley, voici une anecdote :
La professeure de piano de ma famille était Marie Gourgues-Magnan. Elle était professeur à la Schola Cantorum à Paris jusqu’à la nomination de Jacques Chailley à la direction de cet illustre institut de la rue Saint-Jacques. Je ne sais pour quelle raison, elle a eu un différent avec lui et a quitté la Schola, emmenant avec elle tous ses élèves. Elle continua alors à leur donner des cours aux domiciles des uns ou des autres, quelques familles du quartier lui ouvrant leur salon pour accueillir les élèves qui ne pouvaient pas se rendre chez elle à Boulogne.
Elle avait une sérieuse rancune vis-à-vis de Jacques Chailley, et quand je lui ai dit qu’il était professeur d’histoire de la musique à la Sorbonne où j’étudiais, elle m’a raconté une histoire drôle qu’elle lui attribuait :
Alors qu’il présentait la correspondance des noms des notes entre les latines et les germaniques en voulant caricaturer le modèle germanique, il aurait dit que Fa bémol mineur devenait Fes moll, oubliant (?) que cette tonalité n’existe pas !
Son surnom était trouvé : Jacques Chailley a bercé mon enfance en tant que « Fesse molle » !!