Écoute musicale n°73   Sofia Gubaïdulina
Écoute musicale n°73 Sofia Gubaïdulina

Écoute musicale n°73 Sofia Gubaïdulina

Sofia Gubaïdulina (1931-2025)

La compositrice russe София Асгатовна Губайдулина / Sofia Gubaïdulina naît en 1931 à Chistopol, au cœur du Tatarstan, dans un paysage de plaines silencieuses et de vents mystiques. Fille d’un ingénieur tatar et d’une mère d’origine polonaise, elle découvre très tôt la musique comme un langage du dedans, une respiration de l’âme.

Au Conservatoire de Moscou, Chostakovitch (dont elle fut l’assistante durant 5 ans de 1954 à 1959), l’encourage à « suivre sa mauvaise voie » — cette voie intérieure, dangereuse, mais authentique (c’est-à-dire à l’opposé des dictats de l’Union des compositeurs Soviétiques).

Sous le régime soviétique, sa musique est jugée « irrégulière », trop spirituelle, trop libre. Gubaïdulina persiste pourtant, cherchant dans le son une forme de prière. Le violoncelle, le bayan, le souffle, le silence deviennent ses instruments de foi.

Son Offertorium (1980) marque sa révélation : un concerto qui s’ouvre comme une offrande, se dissout comme une ascension. Suivent Seven Words, Stimmen… Verstummen…, The Canticle of the Sun — grandes méditations sur la lumière, la disparition, la présence divine.

Installée en Allemagne depuis 1992, Gubaïdulina demeure une figure majeure de la musique du XXᵉ siècle tardif, souvent comparée à Messiaen ou Arvo Pärt pour la dimension sacrée de son œuvre. Elle poursuit jusqu’à la fin une œuvre faite d’ombre et de clarté, de tension et d’abandon. Elle s’éteint en 2025, à 93 ans, laissant une musique qui ne cherche pas à plaire, mais à prier.

Biographie * plus détaillée jusqu’à son arrivée en Allemagne en 1992…
NB : les titres suivis d’une astérisque sont des liens pour « * en savoir plus… » au bas de cet article.


Une sélection de pièces courtes illustrant son évolution durant ses 4 grandes périodes de compositionnelles

Formation et premières œuvres1960–1979Expérimentation, influence russe, premières recherches sur le timbre et la structureChaconne, Sonate pour piano, Musical Toys, Toccata-Troncata
Pièces pour piano solo *
1969-74
9’15
Affirmation et reconnaissance1980–1989Spiritualité explicite, langage symbolique, reconnaissance internationaleOffertorium, Sieben WorteSilenzio *
1991 – Extraits (I / III)
9’30
Maturité et approfondissement1990–2000Exploration du silence, du temps, du matériau ; œuvres de chambre et de foiSilenzio, Sonnengesang, Dancer on a TightropeSonnengesang * 
1997 – Extrait
7’40
Œuvres tardives et grandes commandes2001–2025Synthèse, transparence orchestrale, ampleur visionnaireMirage, The Light of the End, In tempus praesens, Triple ConcertoThe Light of the End / The Light at the End * (2003) – 2ème partie
11’30

1. Premières œuvres

1960 / 1979

Chaconne (1962)

Œuvre commandée par l’une de ses camarades, la pianiste Marina Mdivani, lauréate du Concours Long-Thibaud 1961.

Ricardo Descalzo *, piano


Sonate pour Piano (1965)

Si vous ne connaissez pas ce chef-d’œuvre du répertoire pianistique contemporain, vous allez avoir une grande surprise. Pour moi, c’est l’une des meilleures œuvres pour piano de la seconde moitié du XXe siècle. École russe, jazz, expérimentation, bravoure, virtuosité, lyrisme, nostalgie. La musique dans sa plus pure essence, avec toutes ses émotions.

Ricardo Descalzo


Musical Toys * / Jouets musicaux, 14 pièces de piano pour les enfants (1969)

Une merveilleuse collection de 14 pièces courtes de niveaux variés, allant du plus simple au plus virtuose. Chaque pièce est un univers unique : certaines sont influencées par le jazz, d’autres sont dans le style de Chostakovitch, nocturnes, oniriques, comme des toccatas… un univers musical personnel que Sofia a écrit pour elle-même, pour l’enfant qu’elle était autrefois.

Ricardo Descalzo

Ricardo Descalzo, Piano, pour l’intégrale ci-dessous, à laquelle il ajoute comme XVème pièce une Invention (1974).


Toccata-Troncata (1971)

Ricardo Descalzo, Piano


2. Affirmation & reconnaissance

1980 / 1989

Offertorium – Concerto pour Violon N°1 (1980)

Œuvre dédiée à Gidon Kremer qui l’a créée et a fait connaître Sofia Gubaïdulina dans le monde entier.
Gidon Kremer, Violon · Boston Symphony Orchestra · Charles Dutoit, Direction (1988)


Sieben Worte * (Les Sept Dernières Paroles du Christ), pour violoncelle, bayan et cordes (1982)

Sans rechercher à ‘comprendre’ la symbolique de cette œuvre, j’ai été happé par sa dimension mystique quasi hypnotique…
L’œuvre est en réalité un double concerto pour violoncelle et accordéon. Elle s’inscrit dans la tradition des méditations sur les sept paroles de Jésus en croix. Dans cette œuvre, la tension se fait présente du début à la fin, avec une grande éloquence.

Elsbeth Moser, Bayan – Maria Kliegel, Violoncelle – Camerata Transsylvanica, Gyorgy Selmeczi, Direction


3. Maturité & recherches

1990 / 2000

« La question fondamentale pour les artistes de ma génération est celle de la liberté. La pensée libérée. Et cela, il nous a fallu le conquérir, l’arracher lambeau par lambeau avec nos ongles. Vous croyez que je me suis retrouvée sur cette liste noire à cause de ma musique ? Pensez-vous ! C’est à cause de mes yeux. Personne ne s’intéressait à ce que je composais, je pense qu’aucun dirigeant n’en a même jamais entendu une seule note, mais ils avaient vu mes yeux avides de liberté. »

Sofia Gubaïdulina

Silenzio * (1991)

Elsbeth Moser, Bayan* – Kathrin Rabus, Violon – Maria Kliegel, Violoncelle

I 00:00 II 04:10 III 06:43 IV 09:32 V 10:50


Dancer on a Tightrope / Danseur sur une corde raide (1993)

Katha Zinn, violon & Illya Filshtinskiy, piano
La vidéo permet de comprendre comment sont produits certains sons avec le piano…


4. Œuvres tardives & grandes commandes

2001 / 2025

Mirage « Le soleil dansant » pour 8 violoncelles (2002)

Œuvre commandée pour les Rencontres d’Ensembles de Violoncelles, Beauvais, elle est dédiée à l’Octuor de Violoncelles de Beauvais. 

Enregistrement réalisé par l’Union des compositeurs de Moscou le 27 novembre 2011.
Interprètes : Ensemble de violoncelles du Conservatoire Gnesine de Russie, composé de : V. Tonkha, R. Bourkin, N. Ivanova, V. Nikonov, K. Krylatova, L. Moukhamedina, N. Poustovarova, D. Tsirempilova


The Lyre of Orpheus / La lyre d’Orphée (2005)

Commande du festival « Les muséiques« de Bâle, pour violon solo, 2 percussionnistes, 6 violons, 5 seconds violons, 4 altos, 4 violoncelles, 2 contrebasses. Créée en 2006 par Gidon Kremer et son Kremerata Baltica.
Gidon Kremer, Violon solo · Marta Sudraba, Violoncelle · Kremerata Baltica


In tempus praesens * / Pour le temps présent – Concerto pour Violon & Orchestre (2007)

Anne-Sophie Mutter, dédicataire de l’œuvre, Violon – London Symphony Orchestra – Valery Gergiev.


Triple Concerto, pour Violon, Violoncelle, Bayan et Orchestre (2016)

Baiba Skride, Violon – Harriet Krijgh, Violoncelle – Elsbeth Moser, Bayan – Boston Symphony Orchestra, Andris Nelsons, direction (2017)


* Pour en savoir plus…

Détail des extraits des écoutes courtes

Pièces pour piano solo (1969-74)

Musical toys (1969) extraits n°XI-XII-XIII par Diana Baker / Toccata-Troncata (1971) / Invention (1974) par Ricardo Descalzo

Ricardo Descalzo, pianiste espagnol, professeur de piano contemporain à San Sebastian’s Musikene Conservatory.
Il a entrepris d’enregistrer l’intégrale de l’œuvre pour piano de Sofia Gubaïdulina, avec laquelle il a travaillé, intégrée dans un vaste projet de bibliothèque sonore du piano contemporain.
Il a entre autre la grande qualité de tout jouer par cœur dans ses vidéos !


Musical toys

Diana Baker, Piano, pour le minutage indiqué ci-dessous. Version plus délicate que celle de Ricardo Descalzo… (Total 18’27)

Repères
YouTube

Titre des pièces

00:00

I. Accordéon mécanique

00:34

II. Le Petit Chaperon rouge

01:13

III. Le trompettiste dans la forêt

02:47

IV. Le forgeron magicien

03:39

V. Jour d’avril

04:21

VI. Chanson du pêcheur

06:09

VII. La mésange

07:19

VIII. Un ours jouant de la contrebasse et la femme noire

08:18

IX. Le pic

10:19

X. La clairière de l’élan

11:17

XI. Le traîneau aux clochettes

12:07

XII. L’écho

14:42

XIII. Le tambour

15:59

XIV. Les musiciens de la forêt


Silenzio (1991)

Le silence comme élément compositionnel. Sofia Gubaïdulina a déclaré qu’elle considérait le silence comme « … le terreau sur lequel quelque chose pousse ». Le silence est représenté ici de manière active, par de longs passages joués pianissimo.

Silenzio, un ensemble de cinq pièces pour bayan, violon et violoncelle, est dédié à Elsbeth Moser, dont la personnalité a inspiré l’œuvre. Elle en a donné la première représentation à Hanovre en 1991 avec la violoniste Kathrin Rabus et le violoncelliste Christoph Marks. La majeure partie de l’œuvre, explique la compositrice, doit être jouée pianissimo. Elle n’avait pas l’intention d’exprimer le silence ou de créer une telle impression. Le silence est pour elle le fondement à partir duquel quelque chose se développe. Des proportions rythmiques exactes sont créées, qui apparaissent de différentes manières dans les cinq miniatures, parfois de manière cachée, parfois sous la forme de proportions de longueur de notes. Dans la dernière miniature, le caché et le visible sont réunis dans une synthèse : tout au long du mouvement, on entend des séquences rythmiques formulées de manière significative dans la partie bayan (quasi variations sur un rythme). C’est le même rythme que l’on retrouve dans la relation entre les sections formelles, 7 – 2 – 5.
Extrait de Music Notes par Keith Anderson

Elsbeth Moser, Bayan* – Kathrin Rabus, Violon – Maria Kliegel, Violoncelle

I 00:00 II 04:10 III 06:43 IV 09:32 V 10:50


Sonnengesang / Cantique du soleil (1997)

Cantique du soleil de Saint François d’Assise, pour violoncelle, chœur de chambre et percussions.
Le jeu sur les sons harmoniques naturels m’évoque le principe de « musique spectrale » également utilisé par Kaija Saariaho…

Mstislav Rostropovich, Violoncelle – London Voices, Chœur – London Symphony Orchestra – Ryusuke Numajiri, Direction


The Light of the End / The Light at the End (2003)

Le nom de la composition provient du son brillant des cymbales antiques qui clôturent la coda de cette pièce. Mais malgré le titre réfléchi, le sens général de la composition est dramatique. Le drame est causé par le conflit entre le caractère intrinsèque des instruments à produire les sons de la rangée naturelle d’harmoniques et la nécessité de les adapter aux sons de l’accord tempéré à 12 tons.

Pendant un certain temps, j’ai vécu ce conflit comme mon propre drame : l’incompatibilité, en principe, de ces qualités intrinsèques avec les circonstances de la vie réelle dans lesquelles la nature est neutralisée. Tôt ou tard, cette douleur devait se manifester dans une composition. Dans cette pièce, le conflit survient entre un thème composé exclusivement de sons de la gamme harmonique naturelle et un thème qui utilise la gamme tempérée à 12 tons. La pièce se termine par la suppression d’une dissonance dans laquelle les contrastes sont résolus.

Sofia Gubaidulina

Gewandhausorchester · Andris Nelsons / Version complète.


Offertorium (1980)

Le concerto s’ouvre sur une citation du thème royal de l’Offrande musicale de Jean-Sébastien Bach.
Il est ensuite « dénaturé » ou « dématérialisé », jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’une seule note. Le thème est ensuite récupéré une note après l’autre à la fin de la section centrale, à l’envers.
Sa technique a été rapprochée de la musique d’Anton Webern.

La compositrice n’a pas donné de note de programme pour cette œuvre, mais a expliqué ensuite que son titre reflète une signification mystique, proche de la musique sacrée.
(source Wikipédia)


Le Bayan

Le bayan est un type d’accordéon chromatique à boutons développé en Russie au début du XXe siècle et nommé d’après le barde Boyan, qui vécut au XIe siècle.

Voir aussi l’article détaillé de Bruno Maurice sur le bayan.


Sieben Worte (Les Sept Dernières Paroles du Christ)), pour violoncelle, bayan et cordes (1982)

Une symbolique mystique s’affirmera de plus en plus à partir des années 1980, reposant le plus souvent sur l’opposition lumière/ténèbres (diatonisme versus chromatisme ou microtonalité), sur le motif de la croix, traité de façon musicale (notamment par l’utilisation de chromatismes renversés de type BACH) et parfois même graphique, comme ici dans Sieben Worte, pour violoncelle, bayan et cordes, où l’on observe aussi une symbolique instrumentale de la trinité (violoncelle = Christ, bayan = Dieu, orchestre à cordes = Saint Esprit), ainsi que le premier recours à la citation, à travers l’emprunt d’un choral de Schütz.

Extrait de « Parcours de l’œuvre de Sofia Gubaïdulina » par Pierre Rigaudière – IRCAM.

« Sieben Worte (Sept mots), pour violoncelle, bayan et cordes, a été composé en 1982 et créé la même année à Moscou, avec le violoncelliste Vladimir Toncha et l’accordéoniste Friedrich Lips, à qui l’œuvre est dédiée. La compositrice reconnaît sa dette envers une longue tradition culturelle, à laquelle Heinrich Schütz a contribué dans son Die sieben Worte unseres lieben Erlb’sers und Seeligmachers Jesu Christi so er am Stamm des heiligen Creutzes gesprochen (Les sept dernières paroles de notre Rédempteur et Sauveur Jésus-Christ prononcées sur la Sainte Croix) et à laquelle Haydn a également ajouté sa contribution. La base chrétienne de l’œuvre a été dissimulée lors de la première représentation à Moscou, mais elle est suffisamment claire, même sans le titre actuel et l’explication de la compositrice elle-même. Sofia Gubaidulina explique qu’aucune œuvre purement instrumentale ne peut naturellement exprimer le texte biblique. Il s’agit plutôt ici de sons purement instrumentaux, de gestes métaphoriques, et à cet égard, les deux instruments solistes, le bayan et le violoncelle, ainsi que l’orchestre à cordes ont fourni une matière abondante : je pense par exemple aux sons prolongés du violoncelle, traversés par les glissandi des cordes voisines. Dans le bayan, ce croisement avec l’orchestre s’effectue à l’aide de la pression exercée sur les touches voisines. Dans l’orchestre à cordes, il est possible de passer par glissando de l’unisson à des textures de plusieurs octaves, puis de revenir à l’unisson (la figure de la Croix). Lorsque l’archet du violoncelle passe derrière le chevalet, c’est en quelque sorte l’entrée dans un autre monde. Ces métaphores instrumentales constituent le fondement thématique de l’œuvre, qui se déroule en six mouvements avec une tension croissante. À la fin du sixième mouvement (Tout est accompli), la tension est rompue : l’archet joue sur le chevalet, et dans le septième mouvement, l’archet traverse le chevalet et les limites de l’instrument. Ce matériau thématique de base pour les instruments solistes contraste avec la musique pour orchestre à cordes, dont le caractère rappelle l’écriture chorale. À ces deux schémas thématiques s’ajoute la triple répétition d’une citation de cinq mesures tirée de l’œuvre de Heinrich Schütz, la mélodie du cri « J’ai soif ». Cette figure a une fonction structurelle essentielle. »

L’œuvre comprend sept mouvements :
0:00 I. Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font.
4:34 II. Femme, voici ton fils ! – Voici ta mère !
8:47 III. En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi au paradis.
12:38 IV. Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?
21:50 V. J’ai soif.
26:43 VI. Tout est accompli.
29:31 VII. Père, je remets mon esprit entre tes mains.

Version intégrale par Maria Kliegel, Violoncelle – Elsbeth Moser, Bayan – Camerata Transsylvanica, dir. György Selmeczi


In tempus praesens / Pour le temps présent – Concerto pour Violon & Orchestre (2007)

Comme beaucoup de créateurs du XXe siècle, le problème du temps me préoccupe au plus haut point. Je m’intéresse à la manière dont le temps change en fonction des conditions psychologiques changeantes de l’homme, à la manière dont il s’écoule dans la nature, dans le monde, dans la société, dans les rêves, dans l’art.

L’art se situe toujours entre le sommeil et la réalité, entre la sagesse et la folie, entre la statique et la dynamique de tout ce qui existe.

Dans la vie ordinaire, nous n’avons jamais de temps présent, seulement la transition perpétuelle du passé vers l’avenir.

Et ce n’est que dans le sommeil, dans l’expérience religieuse et dans l’art que nous pouvons faire l’expérience d’un temps présent durable.

Je pense que la forme musicale remplit précisément cette fonction : au cours de son déroulement, elle subit de nombreux événements. Certains d’entre eux s’avèrent être les plus importants. (Je les appelle les nœuds architectoniques de la forme.) Et ils peuvent former une sorte de forme généralisée, la forme d’une pyramide, par exemple. (L’épisode du sacrifice rituel se trouve au sommet de la pyramide de « In tempus praesens »). L’expérience intégrale de cette forme pyramidale produit un temps présent durable.

Sofia Gubaïdulina


Biographie

Pour les lecteurs souhaitant approfondir la trajectoire biographique de la compositrice, voici un texte de référence signé Gerard McBurney.

Sofia Asgatovna Gubaïdulina est née le 24 octobre 1931 à Tchistopol, en République autonome tatare. Son père, ingénieur des mines, tatare, et sa mère, institutrice, Russe d’origine juive polonaise, sont un exemple d’assimilation à la soviétique, mais sont également typiques du creuset multiculturel que constitue la capitale Kazan, où s’installe la famille l’année suivant sa naissance. À la fois carrefour et centre, ce lieu au riche passé universitaire attire alors de nombreux intellectuels. Gubaïdulina, dont le grand-père paternel était un mollah, dira plus tard : « Je suis l’endroit où l’Orient rencontre l’Occident ». Une icône, découverte à l’âge de cinq ans à l’occasion de vacances passées dans le village de Nijni Uslon sur les rives de la Volga, lui apparaît comme une révélation de sa propre conscience religieuse. Lors d’une enfance à Kazan décrite comme particulièrement terne, la musique qu’elle pratique sur le piano offert par ses parents est un refuge. Pourtant, elle ressent tôt une distance entre ce à quoi elle aspire et ce que lui impose le cadre scolaire, si bien qu’elle développe un goût marqué pour l’improvisation et l’exploration du potentiel du piano, notamment le jeu dans les cordes. Elle étudie à l’Académie de musique (1946-1949), puis au Conservatoire de Kazan (1949-1954), alors que son activité créatrice commence dès le début des années 1950.

Outre une solide formation en piano au cours de laquelle l’un de ses professeurs, Leopold Lukomski, lui fait découvrir la musique de Denisov, Goubaïdoulina étudie la composition avec Albert Leman. Mais ce sont les études de composition à Moscou à partir de 1954 qui apportent à Goubaïdoulina une véritable ouverture musicale, alors que tout ce qui vient de l’Ouest est interdit. Nikolaï Peïko, assistant de Chostakovitch, l’initie à Mahler, Schoenberg et Stravinsky. Déjà, elle manifeste une tendance à dévier du droit chemin esthétique jdanovien – à peine assoupli par le processus de déstalinisation timidement entamé depuis 1953 –, tendance qu’encourage discrètement Chostakovitch à l’occasion d’un examen de fin de cycle. Pendant son Aspirantur sous la supervision de Vissarion Chebaline (1959-1962), elle se livre à des expériences avec le matériau folklorique tatare et la musique électronique. Elle s’intéresse au synthétiseur opto-électronique ANS de Yevgeny Murzin, instrument avec lequel elle réalise en 1970 une pièce électronique. Dans les années 1960, Philipp Herschkowitz, juif roumain qui avait étudié avec Webern, joue un rôle important de passeur, grâce à son enseignement clandestin à Moscou, dont l’influence sur Goubaïdoulina est évidente, même si cette dernière n’applique jamais avec rigueur une combinatoire sérielle.

Dans un contexte politique où les nouvelles œuvres musicales doivent être validées par la puissante Union des compositeurs, toute audace novatrice expose les compositeurs à un blocage. L’activité que Gubaïdulina commence à développer dans le domaine de la musique de film à partir de 1964 (essentiellement des films d’animation dans un premier temps) lui assure des revenus au moment où sa musique, comme celle de ses confrères Alfred Schnittke, Edison Denisov, Viktor Suslin et Viatcheslav Artiomov entre autres, est officiellement interdite d’exécution publique au début des années 1970. En 1975, le groupe d’improvisation Astreia, fondé avec Artiomov et Suslin, lui permet, jusqu’en 1981 – l’émigration de Suslin mettant une fin provisoire aux activités du groupe –, une pratique musicale libre qui compense en partie la frustration de devoir composer dans la clandestinité. Elle est inquiétée à la même époque par le KGB à cause des activités d’édition clandestine de son second mari, Nicolas (Nikolaï) Bokov. Alors qu’elle commence à être jouée à l’étranger dans les années 1970, elle voit en 1979 son nom inscrit sur une liste noire de l’Union des compositeurs. La création à Vienne en 1981 de son concerto pour violon Offertorium par Gidon Kremer marque le début de sa reconnaissance internationale. La compositrice voyage hors de l’URSS pour la première fois en 1984, à l’occasion d’un festival en Finlande. À la levée en 1986 des restrictions de sortie du territoire, elle est en mesure d’assister de plus en plus souvent à la création de ses œuvres dans les pays de l’Ouest. Elle reçoit alors un nombre croissant de prix et de récompenses honorifiques. À l’été 1992, elle émigre vers l’Allemagne, s’établissant à Appen, à proximité de Hambourg où elle réside jusqu’à la fin de sa vie.


Surprise !

Vous avez pu lire que Sofia Gubaïdulina a composé quantité de musique de film, principalement d’animation, avec le double avantage de pouvoir gagner sa vie et de ne pas être censurée par l’Union des compositeurs soviétiques qui ne s’intéressait pas à ce genre musical.

Il s’agit de la première adaptation cinématographique de l’œuvre de Rudyard Kipling, sortie le 1er janvier 1967. Elle s’avère un contraste intéressant avec le Disney Jungle Book, étant plus fidèle au contenu épique et primitif de l’œuvre originale de Kipling. L’adaptation de Soyuzmultfilm est apparue plus adulte et, dans l’esprit, plus proche du livre de Kipling. Il y a des scènes de combats de masse et de duels, le sang et la mort sont montrés, il y a une atmosphère chargée et du suspense. Les thèmes de la vie et de la mort, de la dette et des sentiments, de l’héroïsme du guerrier et de l’essence humaine sont abordés :

Deux épisodes se terminent par des images de mort, la danse de Kaa (le serpent boa) et le chant d’Akela (le chef dela meute des loups). Kaa est l’incarnation du pouvoir absolu, sans précipitation et en même temps inévitable. En mourant dans le final du quatrième épisode, Akela incarne l’archétype du guerrier qui rencontre dignement la mort au combat et part pour les champs de la chasse heureuse… En d’autres termes, les auteurs nous ont dit que l’enfance se termine lorsque l’on découvre que la mort existe, et la jeunesse – lorsqu’une personne proche meurt. Si vous voulez, c’est quand vous vous rendez compte que vous allez mourir vous-même…

Sergey KuznetsovIskusstvo Kino[5].
(Extrait de Wikipédia)

Voici donc un petit cadeau pour les enfants (petits et grands !) : les 9 dernières minutes de Mowgli (1973). J’ai choisi la fin dans laquelle il y a peu de dialogue (en russe) et beaucoup de musique !

J’ajoute que de nombreuses personnes sont réticentes, voire allergiques à la musique contemporaine, alors qu’elle est quasiment omniprésente dans les films et les séries… Peut-être y prêterez-vous davantage l’oreille ?…


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