Écoute musicale n°61  Guillaume Dufay
Écoute musicale n°61 Guillaume Dufay

Écoute musicale n°61 Guillaume Dufay

Guillaume Dufay (1397-1474)

Guillaume Dufay (ou Du Fay) est l’un des compositeurs les plus influents du XVe siècle. Né probablement à Cambrai, dans les Pays-Bas bourguignons, il est l’un des premiers représentants de l’école franco-flamande. Sa musique marque la transition entre les styles médiévaux (comme l’Ars Nova, cf. écoutes n°47 & n°48) et ceux de la Renaissance. Clerc, chanteur, voyageur, il a servi de nombreuses institutions à Cambrai, en Italie et dans les cours princières.
Son style s’imprègne des différents courants européens et mêle rigueur française, lyrisme italien et innovation harmonique.

  • Débuts à Cambrai : Dufay étudie à la cathédrale de Cambrai, où il revient à la fin de sa vie.
  • Rome, Florence, Bologne : il travaille pour le pape et diverses familles italiennes, notamment les Este et les Malatesta.
  • Savoie : il compose également pour la cour de Savoie.

Dufay a jeté les bases de la polyphonie vocale renaissante : il a perfectionné l’art de l’imitation, affiné le lien entre texte et musique, et combiné des influences régionales (anglaise, italienne, flamande) de façon inédite.
Il influencera des générations de compositeurs, de Johannes Ockeghem à Josquin des Prés.

Voici deux compilations dont les détails suivent dans l’article :

3 Motets de musique sacrée :
O sancte Sebastiane / Ave maris stella / Nuper rosarum flores

4 Chansons profanes : Bon jour bon mois / Donnes l’assault / Ma plus mignonne / J’ai mis mon cuer


Musique sacrée

Motets

O sancte Sebastiane [motet isorhythmique]

Par Huelgas-Ensemble · Paul Van Nevel (2011)

Fra Angelico

Hymne marial d’une grande douceur, emblématique de son style mélodique.
Par l’Ensemble: Pomerium – Alexander Blachly, Direction (1997).

(pour en savoir plus…)

Ci-contre : « Vierge et Enfant » (1435)
de Fra Angelico (1395-1455)

Nuper rosarum flores

Motet composé pour la dédicace de la cathédrale de Florence en 1436. Construit selon des proportions architecturales.
(pour en savoir plus…)
Par le Cantica Symphonia.

Messes

Se la face ay pale
La chanson profane « Se la face ay pale »

Chanson d’amour polyphonique raffinée,
Par l’ensemble Cantica Symphonia

Missa « Se la face ay pale » – Kyrie (pour en savoir plus…)

Une des premières messes basées sur une chanson profane
Par Antonie Guerber / Diabolus in Musica.

L’homme armé (pour en savoir plus…)

Une des premières utilisations de la célèbre mélodie L’homme armé, qui inspirera des dizaines d’autres messes.
Par l’ensemble Oxford Camerata – Jeremy Summerly, Direction.

La chanson « L’homme armé »
Missa « L’homme armé » – V. Agnus Dei

Musique profane

Guillaume Dufay a composé 83 balladeschansons polyphoniquesvirelais et rondeaux, allant de l’amour courtois aux chansons épiques.

Par Continens Paradisi

Prologue – suivi de
Bon jour bon mois, bon an et bonne estraine
Donnes l’assault a la fortresse
Ma plus mignonne de mon cueur

Par The Medieval Ensemble of London,
Peter & Timothy Davies, Peter Davies, Timothy Davies

J’ai mis mon cuer – Codex Manesse.

Par l’Ensemble Unicorn – Michael Posch, Direction.

Par Diabolus in Musica, dir. Antoine Guerber.

Pour ce que veoir je ne puis (rondeau)
He compaignons resvelons nous
C’est bien raison de devoir essaucier (ballade)
Par le regard de vos beaux yeux (rondeau)

Écoute comparative

Vergene bella

Chant italien sur un texte de Pétrarque, exemple rare de musique polyphonique en italien.
Par David Munrow, Contre-ténor & l’Ensemble Early Music Consort Of London (1973)

Par le Trio Musica Humana (2018)
Trio vocal a cappella

par The Hilliard Ensemble (2008)
Trio vocal a cappella

Par The Medieval Ensemble of London
Peter & Timothy Davies (1981)

Par le Chór VRC de Varsovie / Pologne, dirigé par Joanna Maluga (2018) – Chœur a cappella


Pour en savoir plus sur …

L’homme armé
\relative c'' { \key f \major \time 3/4 
g2 g4 c2 c4 bes4 a2 g2. d'4 d g,
r d' d d c2 bes4 a2 g2. d'4 d d g,2. 
g'2 g4 f2 f4 g2 g4 d2. g2 g4 f2 f4 g2 g4 d2 g4 a2 g4 f e2 d2. r 
g,2 g4 c2 c4 bes4 a2 g2. d'4 d g,
r d' d d c2 bes4 a2 g2. \bar "|."}
\addlyrics {
L'hom -- me, l'hom -- me, l'hom -- me_ar -- mé, l'hom -- me_ar -- mé,
L'hom -- me_ar -- mé doibt on doub -- ter, doibt on doub -- ter,
On a fait par -- tout cri -- er, 
Que chas -- cun se viengne ar -- mer
d'un hau -- bre -- gon de fer

L'hom -- me, l'hom -- me, l'hom -- me_ar -- mé, l'hom -- me_ar -- mé,
L'hom -- me_ar -- mé doibt on doub -- ter.

}

00:00 – 0. L’Homme Armé {anonymous} 00:46 – I. Kyrie 05:43 – II. Gloria in excelsis Deo 14:38 – III. Credo in unum Deum 27:27 – IV. Sanctus 37:36 – V. Agnus Dei

« Méfiez-vous de l’homme armé » était un cri familier aux oreilles de la culture féodale tardive de l' »automne du Moyen Âge ». Le pape Pie II est mort à Ancône alors qu’il tentait de recueillir des soutiens pour une nouvelle croisade visant à arracher Constantinople des mains des Turcs, qui avaient conquis la ville en 1453. Ce projet de croisade et l’éthique chevaleresque stylisée de la cour bourguignonne de Charles le Téméraire fournissent le contexte historique de la chanson monophonique à succès L’homme armé, qui a connu une popularité immédiate. Robert Morton et Antoine Busnois, chanteurs et compositeurs des ducs bourguignons, ont été diversement crédités de la première mise en musique polyphonique de l’air. En fait, la chanson a engendré une vaste famille de compositions – quelque 40 messes au cours de la fin du XVe et du début du XVIe siècle. Si Johannes Ockeghem a été le premier à achever un cycle de cinq mouvements ordinaires de messe basés sur la chanson L’homme armé, la Missa L’homme armé de Busnois s’est avérée déterminante pour la tradition.

La Missa L’homme armé de Guillaume Dufay semble citer la musique de Busnois et date donc probablement de la dernière décennie de la vie de Dufay. Comme dans les quatre messes tardives à cantus firmus de Dufay, le dispositif organisationnel central est une mélodie préexistante à la voix de ténor, énoncée au moins une fois dans chacun des cinq mouvements de la messe. Contrairement à la Missa Se la face ay pale, cependant (et contrairement aux déclarations de cantus firmus plus manifestes dans les messes L’homme armé de Busnois et Ockeghem), Dufay tord et déguise la mélodie de la chanson, la modifiant, l’ornementant et la soumettant à un éventail éblouissant de permutations compositionnelles.

  • Dufay répartit la structure tripartite de la mélodie de L’homme armé sur les trois sections du Kyrie, avec des entrées du cantus firmus du ténor se faufilant à partir de notes de basse adjacentes, se cachant parmi des similitudes mélodiques imprégnant d’autres voix, et élaborées avec un « tag » dans le Kyrie I et une diminution de la mélodie annexée au Kyrie II.
  • La mélodie entière apparaît deux fois dans le Gloria, une fois avec une ornementation mélodique et des valeurs rythmiques mélangées, et une deuxième fois avec une altération rythmique supplémentaire. Le duo d’ouverture de ce mouvement (et celui du Credo suivant) reprend le début de la devise entendue pour la première fois dans le Kyrie, apportant ainsi un soutien audible à la structure cyclique.
  • Le mouvement Credo suit un schéma similaire à celui du Gloria : il s’ouvre sur un duo extrêmement long, se poursuit par une structure contenant une déclaration identique de cantus firmus, et culmine avec une troisième déclaration en diminution, très intense sur le plan rythmique, et une longue « balise » en composition libre.
  • Le Sanctus ne présente d’abord que des fragments de la mélodie du ténor, puis une déclaration complète sans aucune altération dans le deuxième Osanna.
  • La fantaisie compositionnelle la plus célèbre de cette œuvre se produit dans le troisième mouvement de l’Agnus Dei, le fameux « canon aux crabes » de Dufay [voir 42:23 dans cette vidéo]. La voix de ténor reçoit l’air familier de L’homme armé, avec l’inscription latine « Cancer eat plenus sed redeat medius », ce qui signifie « Le crabe sort plein mais revient à moitié ». Une partie de la solution à cette instruction spirituelle implique une diminution rythmique : le « retour », ou le deuxième énoncé de la mélodie, doit diviser par deux toutes les valeurs rythmiques. Mais l’invocation du crustacé indique une autre complexité : un mouvement rétrograde la première fois, puisque le crabe « sort » en marchant à reculons. L’astuce de Dufay a certainement déclenché une tradition de compétition et de défi compositionnel dans la famille naissante des mises en musique de la messe de L’homme armé.
Missa « Se la face ay pale » – Version intégrale

1 Introit: Benedicta sit sancta trinnitas – 2 Kyrie – 3 Gloria – 4 Gradual: Benedictus es Domine – 5 Alleluia: Benedictus es Domine – 6 Sequence: Unus simplex et perfectum – 7 Credo – 8 Offertory: Benedictus sit Deus pater – 9 Sanctus – 10 Agnus Dei – 11 Communion: Benedicite Deum celi – 12 Ite missa est.
Par Antonie Guerber / Diabolus in Musica.

Ave Maris Stella

Comme tous les hymnes de Dufay qui ont survécu, Ave Maris Stella est écrit pour trois voix, la mélodie bien connue du chant constituant la base évidente. Dans ce cas, Dufay donne à la voix la plus aiguë une mélodie basée sur un embellissement du chant. En dépit des gracieuses tonalités de passage avec lesquelles il médiatise le saut saisissant du début du chant, et du niveau relativement élevé d’embellissement qui se poursuit, la mélodie du chant reste audible tout au long de l’œuvre. Dufay répond même subtilement à ses caractéristiques : la mélodie de plain-chant termine deux phrases par de gracieux mélismes, et Dufay les reflète dans une série de cadences étendues.

L’élégante paraphrase de chant est accompagnée de deux voix basses, dont il subsiste plusieurs versions différentes. La réalisation la plus courante de la polyphonie est un arrangement à trois voix qui suit les principes d’improvisation connus sous le nom de fauxbourdon (ou gymel). Dufay a écrit une voix de ténor complexe, et il est possible d’interpréter l’hymne avec une voix médiane non notée chantant en permanence des quartes parallèles sous la mélodie.

Dans ce cas, le ténor fournit une grande partie de l’impulsion et de l’intérêt rythmiques de la pièce. Cependant, il existe également une partie de contre-ténor notée.

Dans la version « composée » à trois voix, cette voix de contre-ténor donne encore plus d’éclat à l’ensemble, avec des quasi-imitations, des croisements de voix et un niveau de syncope plus élevé. Une autre version existante présente la mélodie de Dufay avec une paire de voix basses complètement différente (et un peu plus fade). Les chœurs d’église, et même les chanteurs du pape, ont interprété et adapté l’hymne de Dufay pendant des décennies.

De nombreuses compositions de Dufay étaient de simples mises en musique de chants, manifestement conçues pour un usage liturgique, probablement comme substituts du chant non orné, et peuvent être considérées comme des harmonisations de chants. Souvent, l’harmonisation utilise une technique d’écriture parallèle connue sous le nom de fauxbourdon (ou gymel), comme dans cet Ave Maris Stella.

Nuper rosarum flores

Nuper Rosarum Flores (« Récemment des fleurs de roses/la rose fleurit récemment »), est un motet composé par Guillaume Dufay pour la consécration du 25 mars 1436 de la cathédrale de Florence, à l’occasion de l’achèvement de la coupole construite selon les instructions de Filippo Brunelleschi.
Les deux ténors homographiques, qui définissent le plan structurel de l’œuvre, sont tous deux basés sur une mélodie du cantus firmus grégorien tirée de l’introït de la consécration des églises, Terribilis est locus iste (Genèse 28, 17), à une quinte d’écart et avec des configurations rythmiques différentes et enchevêtrées.
Le titre de la pièce provient du nom de la cathédrale elle-même : Santa Maria del Fiore, ou Sainte Marie de la Fleur. Les premières lignes du texte de Dufay font référence au don du pape Eugène IV à la cathédrale, et à la ville de Florence, d’une rose d’or pour décorer le maître-autel – un don fait la semaine précédant la dédicace.

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