La Tonalité en questions
La Tonalité en questions

La Tonalité en questions

Questions sur la Tonalité

La reconnaissance des tonalités fait partie des épreuves du Diplôme Willems® pour l’Éducation Musicale.
Or ce sujet m’a toujours questionné.

  • Pourquoi les compositeurs ont des préférences pour telle ou telle tonalité ?
  • Les tonalités sont décrites par les musiciens comme plus ou moins claires, sombres, sereine…
    Alors qu’en est-il des transpositions ?

Pour tenter de répondre à ces questions, je vais envisager plusieurs points de vue qu’il me semble intéressant de confronter.
Au final, ces questions restent ouvertes à vos contributions et commentaires…

Tout d’abord, un petit point sur deux types d’oreille musicale, distinctes dans leur nature et complémentaires dans leur fonctionnement : l’oreille absolue et l’oreille relative.

L’oreille absolue

« L’oreille absolue » en musique se caractérise par l’association fixée entre les hauteurs des sons et les noms des notes, qui impose aux personnes qui ont cette oreille absolue d’entendre des noms de notes dès que le son a une structure musicale (au plan des harmoniques). N’ayant pas personnellement cette capacité, je suis mal placé pour en parler. Je ne peux que décrire ce que m’en disent les « élus » !

« Élus » ? Oui, a priori, car cet étiquetage automatique et instantané des sons par leurs noms est un avantage certain pour les dictées musicales, et la reconnaissance des tonalités. Jusqu’à un certain point…

Car le diapason a évolué au cours des siècles, et continue de grimper.
De 415 Hz au temps de J.-S. Bach, il s’est fixé à 440 Hz au début du XX° siècle pour monter à 442 voire même 444 Hz dans les orchestres philharmoniques, ce qui fait un écart de plus d’1/2 ton.

Alors quid de la tonalité ? La fameuse couleur tonale qui distingue Mib Majeur et Ré Majeur quand ce Mib sera entendu Ré et Ré sonnera Do# au diapason baroque (à peu près) ?

L’oreille relative

« L’oreille relative » est plus importante pour le musicien que l’oreille absolue, car elle est indissociable des relations entre les sons, tandis que l’oreille absolue ne fait qu’étiqueter séparément des séries de sons successifs.
On cite souvent Mozart : « La musique n’est pas dans les notes mais entre les notes ».

Tout le travail d’initiation puis de formation musicale proposé par Edgar Willems va dans le sens du développement auditif dans la relativité. L’absolu de l’étiquetage des sons n’est pas spécifiquement recherché, mais il n’est pas exclus. C’est pourquoi dès qu’un son chanté est nommé, il est nommé à sa hauteur absolue (en contrôlant avec un instrument ou un diapason), contrairement à la méthode « Tonicado » dans laquelle le Do désigne le premier degré de la gamme quelque soit sa hauteur.

La bataille entre l’absolu et le relatif

Pourquoi chercher à reconnaître une tonalité dans l’absolu, sachant que le rapport aux noms des notes a changé au cours des siècles ?

La proposition de Jacques Chapuis

Le cœur de la réflexion et de la pratique pédagogique proposés par E. Willems repose sur la comparaison des phénomènes musicaux, en écho aux divers aspects de la nature humaine (pour laisser à Teillard de Chardin l’expression de « Phénomène humain »). Willems se définissait comme un « phénoménologue » dont l’observation ne se limitait pas à la dissociation des phénomènes musicaux en éléments simples. Il a longuement étudié et présenté les relations et les associations (bonnes ou mauvaises) qui relient ces éléments entre eux.

Pour reconnaître les tonalités, J. Chapuis propose de combiner les deux types d’oreille.
Voir « Éléments Solfégiques et Harmoniques du Langage Musical » p.39 à 43 aux Éditions Pro Musica.
A partir de la Tonique qui émerge de l’audition d’une œuvre, on chante l’accord, ce qui permet d’en déterminer le mode, puis on ajoute à ces 3 sons le LA du diapason (à 440 Hz), ce qui donne un motif de 4 sons, différent pour chacune des 24 tonalités.
Puis depuis ce LA, on chante diatoniquement les notes des degrés qui nous ramènent à la Tonique, ce qui crée un deuxième motif qui complète le premier, toujours de façon unique pour chacune des 24 tonalités.

Cet « éthos » des tonalités, comme il l’appelle, permet deux choses :
– Identifier la tonalité par rapport au LA du diapason (440).
– Distinguer et comparer les tonalités entre elles.

Ce travail de reconnaissance étant pratiqué d’abord en chantant à haute voix, puis en audition intérieure, a pour mérite de développer et renforcer cette audition intérieure, et pour objectif possible l’acquisition d’une audition absolue des tonalités (relative cependant au diapason retenu : 440).

Qu’en est-il de la reconnaissance des tonalités par leur « couleur » ?

Une autre question est d’être directement sensible à la couleur d’une tonalité, ou au moins au caractère particulier induit par une tonalité par rapport à une autre.

J’ai partagé dans l’écoute musicale n°16 consacrée à Messiaen un article passionnant sur son rapport particulier à la relation son/couleur. Outre le fait que cette correspondance est variable même entre les musiciens doués de sinesthésie, il semblerait que Messiaen profite d’un vocabulaire extrêmement riche pour décrire les couleurs, et ainsi permettre des comparaisons, ce qui nous ramènerait plutôt à la dimension « relative » et non « absolue » de la perception/réception de la musique.

Ayant constaté cette relativité entre les couleurs (des accords principalement pour Messiaen, … si j’ai bien compris !) et les tonalités, que se passe-t-il si on ne reconnaît pas ces différences ?

Quand l’analyse du phénomène tue le phénomène

Qu’en est-il du pauvre néophyte qui écoute la Messe en Si mineur de J.-S. Bach sans savoir qu’elle est en Si ?
Et que dire s’il l’écoute avec un enregistrement des années 1990 au diapason 440, par Sergiu Celibidache (https://youtu.be/l2NapDhXUb0) ou un enregistrement récent (je n’ose dire moderne !) joué sur instruments anciens au diapason 415 , par Philippe Herveghe par exemple (https://youtu.be/F57cxiB6jKQ) ? Sans parler des différences de tempi, de phrasé, etc…

S’il fallait être sensible à la tonalité pour apprécier un tel monument de l’histoire de la musique, bien peu d’élus pourraient en bénéficier…

Heureusement, la musique est un langage universel qui n’a pas besoin d’explication pour être entendue et reçue, voire appréciée.
L’étude d’une œuvre et son analyse approfondie permettent généralement de l’apprécier davantage.
A condition toutefois de revenir à l’écoute globale de l’œuvre, car le découpage analytique peut tourner à la dissection mortelle !

C’est une autre particularité de la proposition pédagogique d’E. Willems : partir du Tout pour revenir au Tout.

Reste une question sur la tonalité

Pourquoi J.-S. Bach a-t-il choisi la tonalité de Si mineur pour cette Messe à laquelle il travailla toute sa vie ?
N’aurait-il pas été plus simple de l’écrire en Do mineur ?

Et pourquoi certaines tonalités sont privilégiées pour certaines œuvres, souvent Ré mineur pour les Requiem par exemple, ou simplement préférées par certains compositeurs ?

Et que dire des cycles de lieder de Schubert transposés dans diverses tonalités pour s’adapter aux divers registres des interprètes ?
Enfin que dire de la pratique de la transposition que prônait Dinu Lipatti à ses élèves, lui qui pouvait, d’après Jacques Chapuis, transposer au tempo tout son répertoire dans n’importe quelle tonalité !?

Je ne répondrai pas à cette question qui dépasse mes compétences, mais je suis curieux de lire dans les commentaires vos contributions pour éclairer ma lanterne…

Pour finir, voici deux illustrations des relations à la couleur par les peintres Serge Poliakoff « Composition abstraite » (1967) et Pierre Soulages  » (2009).

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