Germaine Tailleferre (1892-1983)
Unique femme du Groupe des Six, Germaine Tailleferre s’impose par une musique limpide, élégante et pleine d’humour. Proche de Ravel et de Stravinsky, elle compose dans tous les genres : piano, musique de chambre, ballets, concertos. Restée longtemps dans l’ombre, elle est aujourd’hui redécouverte comme une voix singulière du néoclassicisme français.

Germaine Tailleferre dressa en ces termes son autoportrait :
« Je n’ai pas grand respect pour la tradition. Je fais de la musique parce que ça m’amuse, ce n’est pas de la grande musique, je le sais. C’est de la musique gaie, légère, qui fait que, quelquefois, on me compare aux petits maîtres du XVIIIe siècle, ce dont je suis très fière. »
Voir ci-dessous une courte biographie *.
Choisir parmi les 170 œuvres du catalogue de cette compositrice prolixe est bien difficile.
J’ai notamment mis de côté ses œuvres vocales : mélodies, opéras, vous me pardonnerez…
Les compositions présentées ici sont assez brèves, de 4 à 20′. Faites votre choix, vous pourrez toujours y revenir !
Fantaisie sur un thème de G. Cassade, pour quintette avec piano (1912)
Shuichi Okada & Alexandre Pascal, violons – Léa Hennino, alto – Héloïse Luzzati, violoncelle – Célia Oneto Bensaid, piano
Sélection * de pièces pour Piano (solo, 4 mains, 2 pianos)
Jeux de plein air (2 pianos – 1917) / Valse lente (2 pianos – 1928) / Toccata (2 pianos – 1957) / 2 Valses (1962) / Sonate (2 pianos 1974)
Trio pour violon, violoncelle et piano (1916-17 achevé en 1978)
I. Allegro animato – II. Allegro vivace – III. Moderato – IV. Très animé
Hélène Collerette, Violon – Nadine Pierre, Violoncelle – Catherine Cournot, Piano (2019).
Ballade pour piano et orchestre (1920)
Rosario Marciano, piano / Orchestra of Radio Luxembourg dirigé par Louis de Froment.
Sonate pour Violon et Piano No. 1 (1921)
00:00 Modéré sans lenteur 05:15 Scherzo – Pas très vite et sans rigueur 07:49 Assez lent 11:46 Final – Très vite
Renate Eggebrecht, Violon & Angela Gassenhuber, Piano
Le Marchand d’oiseaux *, ballet (1923)
Concerto Grosso pour 2 Pianos, Orchestre & Chœur (1934)
Ce très original Concerto pour deux pianos doit être considéré comme une petite merveille dans le sous-genre des œuvres orchestrales faisant appel à un chœur sans paroles. D’autres exemples sont Daphnis et Chloé de Maurice Ravel (chœur mixte), Printemps et Les Sirènes de Claude Debussy (chœur de femmes). La section des bois de l’orchestre comprend également quatre saxophones.
Pascal & Ami Roge (pianos) et le BBC Welsh National Orchestra avec le BBC Welsh National Choir.
Sonate pour 2 Pianos (1974)
I. Allegro II. Andantino [02:05] III. Allegro [05:20]
Marc Clinton & Nicole Carboni, Pianos
Concerto de la Fidélité (pour voix élevée) (1981)
Arleen AUGER, soprano, Zoltan PESKO, Orchestre de l’Opéra de Paris

Le coin des écoutes comparatives
Germaine Tailleferre et les influences de Ravel et de Stravinsky.
En écoutant successivement les pièces présentées ci-dessous, la parenté avec ces 2 compositeurs est évidente, sans que Germaine Tailleferre soit reléguée au rang de bonne élève !
Son écriture se caractérise par la grâce mélodique de Ravel, l’esprit piquant de Stravinsky, mais toujours filtrés par une légèreté qui lui est propre.
Œuvre / Élément | Germaine Tailleferre | Maurice Ravel | Igor Stravinsky | Commentaires |
---|---|---|---|---|
Influences communes | Études avec Ravel, ami proche | Influence sur Tailleferre | Influence sur Tailleferre | Tailleferre a été influencée par les deux compositeurs, notamment dans son style néo-classique. |
Néo-classicisme | Concerto pour Piano et orchestre n°1 (1924) | Le tombeau de Couperin (Orchestration 1919) | L’histoire du soldat (Suite pour orchestre 1920) | Tailleferre, Ravel et Stravinsky ont exploré le néo-classicisme, réinterprétant les formes classiques avec une touche moderne. |
Écriture pianistique | Ballade pour piano et orchestre (1922) | Concerto en Sol 2ème Mouvement (1929-31) | Ragtime for Piano solo (1918) | Les trois compositeurs ont développé une écriture pianistique virtuose et expressive. |
Musique de ballet | Le Marchand d’oiseaux (1923) | Valses nobles et sentimentales (Orchestration 1920) | Pulcinella (Suite pour orchestre 1920) | Chacun a contribué de manière significative au répertoire de ballet avec des œuvres emblématiques. |
Harmonie et orchestration | Influence de Ravel et Stravinsky | Maîtrise de l’orchestration | Innovation orchestrale | Tailleferre a intégré des techniques harmoniques et orchestrales influencées par ses contemporains. |
* Pour en savoir plus…
Courte biographie
Née Germaine Marcelle Taillefesse en 1892 à Saint-Maur-des-Fossés, la jeune femme de vingt ans côtoya Milhaud, Auric et Honegger au Conservatoire de Paris. Après l’obtention de ses prix de solfège, d’harmonie, de composition et d’accompagnement, elle s’imposa dans le milieu musical parisien avec Jeux en plein air pour deux pianos, qui attira l’attention de Satie, et plus tard celle de Ravel avec qui elle travaillera l’orchestration, et qui en 1928 louera lors d’une conférence aux États-Unis « la géniale musique de Germaine Tailleferre ». En 1916-1917, elle composa un Trio pour violon, violoncelle et piano en trois mouvements qui, du fait de la Grande Guerre, restera pendant des décennies dans un tiroir. Ce n’est qu’en 1978, lorsque le ministère de la Culture lui commanda une nouvelle œuvre, qu’elle décida de reprendre le Trio, en lui ôtant son mouvement central, et en le remplaçant par deux mouvements peu ou prou dans le même style.
Seule femme du Groupe des Six, réuni sous la férule du poète Jean Cocteau (1889-1963) et le parrainage d’Erik Satie (1966-1925), Germaine Tailleferre (1892-1983) n’a pas réussi à se faire connaître autant que ses collègues
Georges Auric
(1899-1983)
Louis Durey
(1888-1979)
Arthur Honegger
(1892-1955)
Darius Milhaud
(1892-1974)
Francis Poulenc
(1899-1963)

Elle partage donc avec Louis Durey le triste sort d’avoir été quelque peu oubliés par la postérité.

Sa musique semble toujours hésiter entre un romantisme effacé et un atonalisme délicat.
Pour Darius Milhaud, Germaine Tailleferre « est une délicieuse musicienne, qui travaille lentement et sûrement. Sa musique a l’immense mérite d’être sans prétention, cela à cause d’une sincérité des plus attachantes. C’est vraiment de la musique de jeune fille, au sens le plus exquis de ce mot, d’une fraîcheur telle qu’on peut dire que c’est de la musique qui sent bon ».
Erik Satie échangea avec elle une correspondance dans laquelle il l’appelle « ma gracieuse amie », « ma complice », « ma sœur en musique » ou encore « ma fille musicale ». Reprenant un mot de ce dernier, Jean Cocteau la qualifia de « Marie Laurencin pour l’oreille », faisant ainsi un parallèle au féminin entre peinture et musique.
Proche de Ravel et de Satie, elle développe un style personnel fait de clarté, élégance et humour, souvent rattaché au néoclassicisme français. Elle compose dans tous les genres : musique de chambre (Trio pour violon, violoncelle et piano), pièces concertantes (Ballade pour piano et orchestre, Concertino pour harpe), œuvres orchestrales (Ouverture de 1932) et ballets (Le marchand d’oiseaux, 1923).
Malgré une vie personnelle difficile (mariages malheureux, guerre, problèmes financiers), elle reste fidèle à une musique limpide, jamais emphatique. Elle meurt à Paris en 1983, discrète mais admirée.
Le tableau suivant met en lumière l’évolution stylistique de la compositrice, de ses débuts néo-classiques à ses expérimentations plus tardives.
Année | Œuvre | Genre / Commentaire |
---|---|---|
1912 | Valse lente Lang-Lang | Miniature pour piano, élégance néo-classique, rapprochement avec Ravel. |
1916/1917 | Trio pour piano, violon et violoncelle (voir plus haut) | Musique de chambre raffinée, lyrisme et clarté polyphonique. |
1920/1922 | Ballade pour piano et orchestre (voir plus haut) | Œuvre concertante qui montre son style transparent et vivant. |
1923 | Le marchand d’oiseaux (voir plus haut) | Ballet, esprit néo-classique, influences de Stravinsky. |
1927 | Concertino pour harpe I. Allegretto – II. Lento – III. Rondo Gillian Benet Sella (harpe) et The Women’s Philharmonic – JoAnn Falletta, Direction | Virtuosité et légèreté, formes néo-baroques revisitées. |
1932 | Ouverture Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire Georges Tzipine, Direction | Pièce orchestrale, illustre son raffinement et sa concision. |
1946 | Intermezzo pour 2 pianos Marc Clinton & Nicole Carboni | Composition post-Seconde Guerre mondiale, dédiée aux jumeaux Tual, marquée par une influence néo-baroque. |
1956 | Concerto des vaines paroles Extraits | Œuvre pour baryton, piano et orchestre sur un texte de Jean Tardieu, alliant humour et virtuosité. |
1972 | Sonate champêtre I. Allegro moderato – II. Andantino – III. Allegro Vivace – Gaiement | Pièce pour hautbois, clarinette, basson et piano, inspirée de son opérette “Il était un petit navire”. |
1974 | Sonate pour Deux Pianos (voir plus haut) | Œuvre en trois mouvements, dédiée au duo Gold et Fizdale, avec une influence de la pavane de son ballet “La Nouvelle Cythère”. |
1982 | Concerto de la fidélité (voir plus haut) | Dernière œuvre majeure, concerto pour soprano colorature et orchestre, créée à l’Opéra de Paris l’année précédant sa mort. |
Sélection de pièces pour Piano : solo, 4 mains, 2 pianos
- Jeux de plein air (2 pianos – 1917) / Marc Clinton & Nicole Carboni (5′)
I. « La Tirelitentaine » – II. « Cache-cache mitoula« - Valse lente (2 pianos – 1928) / Lang-Lang (2’28)
- Toccata (2 pianos – 1957) / Marc Clinton & Nicole Carboni (3’30)
- Seule dans la forêt (solo – 1951) / Jan Latham-Koenig (2’20)
- 2 Valses (version 2 piano – 1962) / Marc Clinton & Nicole Carboni (3’20)
I. Valse lente (plus si lente qu’avec Lang-Lang !) – II. Valse brillante - Sonate (2 pianos 1974) : Marc Clinton & Nicole Carboni (7′)
I. Allegro – II. Andantino – III. Allegro
Le Marchand d’oiseaux
Le Marchand d’oiseaux est un ballet composé par Germaine Tailleferre en 1923, sur un livret d’Hélène Perdriat et une chorégraphie de Jean Börlin.
Contexte et création
Le ballet est créé par les Ballets suédois le 25 mai 1923 au nouveau Théâtre des Champs-Élysées. Il rencontre un grand succès et est représenté quatre-vingt-treize fois, jusqu’en 1924. Il ne sera jamais recréé mais il lance la carrière de compositrice de Germaine Tailleferre. La Princesse de Polignac lui commande aussitôt une pièce dans le même style néoclassique « alla Scarlatti », son premier Concerto pour piano et orchestre, et Serge Diaghilev reprendra la célèbre ouverture pour servir d’interlude à ses Ballets russes.
Le ballet dure à peu près une demi-heure. Décor, costumes et rideau sont confiés à l’autrice, Hélène Perdriat, de même qu’ils l’avaient été deux ans plus tôt pour Les Mariés de la tour Eiffel à Irène Lagut, une autre femme peintre représentative de l’art moderne.
Argument
Deux sœurs découvrent à leur porte deux bouquets. L’aînée dédaigne les fleurs des champs et les laisse à sa cadette. Ravie, celle-ci se laisse courtiser par un simple marchand d’oiseaux, quand l’autre reçoit les hommages d’un riche étranger masqué. Une écolière turbulente arrache en passant le masque de ce dernier. C’est le vieux marchand du port. Confusion, effarouchement. La cadette applaudie s’éloigne d’un pas gracieux au bras du marchand d’oiseaux.
Mouvements
- Allegro moderato
- Allegretto
- Allegretto
- Pavane
- Lent
- Final : très vite
Instrumentation
Piccolo, flûte, 2 hautbois, cor anglais, 2 clarinettes, 2 bassons, 3 cors, 2 trompettes, 2 trombones, cordes, timbales, percussions, célesta, harpe, piano
Réception
« Il n’est rien de plus à dire. Mais est-ce donc un si mince éloge? Sourions au Marchand d’oiseaux, à son acide et frais décor, à ses costumes ironiques … Vous voulez un scénario? Pourquoi? .. »
« Ce petit divertissement est le triomphe de Mlle Germaine Tailleferre, auteur d’une mordante partition, où le motif populaire et la ronde enfantine brillent, se cachent, reparaissent, rubans qui lient un bouquet orchestral.Colette, le jour de la première à propos du scénario, du décor et des costumes d’Hélène Perdriat.