Écoute musicale n°57  Maurice Ravel
Écoute musicale n°57 Maurice Ravel

Écoute musicale n°57 Maurice Ravel

Maurice Ravel (1875-1937)

Le 7 Mars 2025, nous fêtions le 150ème anniversaire de la naissance de Maurice Ravel, en 1875.
Une bonne occasion de revenir à ce merveilleux compositeur, déjà présenté dans l’article n°42, principalement autour de ses œuvres pour piano, dont le fameux « Jeux d’eau » repris lors de la cérémonie d’inauguration des J.O. de Paris 2024.

Les hommages ne vont pas manquer pour ce jubilé, aussi vais-je tenter une approche moins conventionnelle que la énième reprise du « Boléro« … de quoi mieux comprendre à quel point ce Boléro n’était initialement pour Ravel qu’un « exercice » pour faire travailler l’orchestre !


Frontispice (1918), pour 2 Pianos à 5 mains

Ravel a servi comme conducteur d’ambulance durant la première guerre mondiale. Traumatisé par les horreurs dont il a été témoin, il ne pouvait ni dormir ni travailler à son retour à Paris. Le seul morceau de musique qu’il a pu composer pendant ces périodes sombres est « Frontispice ».

Cette pièce était destinée à un livre d’illustrations du poète Ricciotto Canudo, l’inventeur en 1919 du terme de « 7ème art » pour désigner le cinéma.
La complexité rythmique est incroyable ! Voyez ci-dessous le manuscrit de la partition, et visionnez-la en l’écoutant https://youtu.be/ATT-1vmZZAk?si=adoa7Vior7fOl_wm

Le musicologue François-René Tranchefort note qu’avec ses quinze mesures, Frontispice est l’œuvre la plus courte de Ravel.
Et de citer Marcel Marnat :

« Moins de deux minutes résolument polytonales avec trois lignes mélodiques indépendantes superposées, bientôt bafouées par l’intervention des accords 
incléments qu’y introduit la cinquième main.
Le langage est ici aussi nouveau que possible […] Trois accords finals mettent le comble à la surprise de l’auditeur par une brutale interrogation débouchant sur le vide.»

L’œuvre est également particulière dans sa superposition de deux indications rythmiques différentes : ternaire, à 15/8 pour le piano 1, et binaire, à 5/4 pour le piano 2.

Version originale pour 2 Pianos à 5 mains, par Gilbert Kalish, Paul Jacobs et Teresa Sterne (1978).

Par Alfons & Aloys Kontarsky, Pianos (je ne sais pas lequel des deux a 3 mains… mais cette version plus lente permet de mieux entendre la complexité rythmique).

Orchestration de Pierre Boulez en 2007
Par l’Ensemble Intercontemporain – Matthias Pintscher, direction (2015)

Les deux versions enchaînées

J’ai trouvé un diaporama associé à cette œuvre. Les images sont saisissantes par leur actualité avec la guerre en Ukraine ou à Gaza. Et le paradoxe est encore plus grand quand on sait que les musiciens de ce « MultiPiano Ensemble » à savoir Tomer Lev, Daniel Borovitzky, Yuval Gilad, sont des pianistes israéliens. Cet enregistrement date de 2012 au Clairmont Hall, Tel Aviv University.
Ravel – World War I Memories – « Frontispice » for 2 Pianos 5 Hands


Chansons Madecasses (1925-26)

Les Chansons madécasses (ou Canciones de Madagascar) sont un cycle de trois mélodies composées par Maurice Ravel sur des poèmes du voyageur et écrivain Évariste de Parny (1753-1814).
Ce cycle est particulier car il s’éloigne de l’accompagnement pianistique traditionnel et adopte une orchestration de musique de chambre (voix, flûte, violoncelle et piano).
Il possède une ambiance exotique et sensuelle, tout en comportant un message politique, notamment une dénonciation du colonialisme dans la deuxième chanson.
Il est parfois considéré comme un précurseur du primitivisme musical, à la manière du Sacre du Printemps d’Igor Stravinsky.
Vous entendrez aussi des couleurs du Pelléas de Claude Debussy, et comme il fut précurseur d’Olivier Messiaen.

Par Jan DeGaetani, Mezzo- Soprano – Donald Andersen, Violoncelle – Gilbert Kalish, Piano – Paul Dunkel, Flûte (1978)

1. Nahandove

Nahandove, ô belle Nahandove !
L’oiseau nocturne a commencé ses cris,
la pleine lune éclaire de tout son éclat,
et tu n’es pas encore là !

Voici l’heure, qui peut t’arrêter ?
Mes regards sont fixés sur la colline.
La brise se tait dans la plaine,
et mon cœur bat violemment.

Tu parais, ombre chérie,
tu glisses doucement sur la colline.
Mes bras s’ouvrent.

Nahandove, ô belle Nahandove !

Tu me presses sur ton sein.
Tes baisers pénètrent mon âme.
Oh ! quelle étreinte enchanteresse !

Le plaisir me consume.
Nahandove, ô belle Nahandove !

Tu t’éloignes déjà,
et je vais languir dans les pleurs.

2. Aoua !

Aoua ! Aoua ! Méfiez-vous des Blancs, habitants du fleuve !
Dans leurs vaisseaux, ils ont tendu des chaînes,
ils ont semé le fer dans les campagnes.

Un jour, nous vîmes des hommes pâles ;
nous vîmes des hommes différents de nous,
et nous dîmes : “Ils sont nos frères.”

Mais ils préparaient des pièges.
Ils plantèrent le fer dans le cœur de nos pères.

Aoua ! Aoua ! Méfiez-vous des Blancs !
Ils sont fourbes et cruels.

Ils envahissent nos terres,
et nous sommes leurs esclaves !

3. Il est doux de se coucher

Il est doux de se coucher durant la chaleur,
sous un arbre à l’abri du soleil,
et d’attendre que le vent du soir
rafraîchisse la plaine et les forêts.

Femme chérie, approche !
Mets-toi près de moi !

Le zéphyr s’élève.

Écoute le vent léger,
il frémit dans les palmes,
il soulève ta robe légère.

La nuit est sombre,
le silence profond ;
et nous sommes seuls.

Les trois mélodies enchaînées :


Sonate pour Violon et Violoncelle (1920-22)

1. Allegro 2. Très vif 3. Lent 4. Vif, avec entrain.
Par : Isidore Cohen, Violon & Timothy Eddy, Violoncelle (1978)


Sites auriculaires (1895-1897)

Œuvre expérimentale en deux mouvements, pour deux pianos.
I. Habanera (3’47) – II. Entre Cloches (3’01)
Par : Gilbert Kalish & Paul Jacobs, Pianos (1978)

Par Vladimir Ashkenazy & Vovka Ashkenazy, Pianos (Version avec partition sur YouTube en cliquant sur le minutage)
0:01 I – Habenera – 2:38 II – Entre Cloches

Et voici ce que devint la Habanera de 1898 dans la « Rapsodie Espagnole » (orchestrée par Ravel en 1907-1908), soit 10 ans avant la composition de Debussy « La Soirée dans Grenade » extraite des « Estampes« , jouée ici par la grande pianiste Alicia De Larrocha…
3ème Mouvement de la Rapsodie Espagnole : « Habanera » – Assez lent et d’un rythme las.
Par Manuel Rosenthal · Orchestre de l’Opéra National de Paris


Rapsodie espagnole (1907)

I. Prélude à la nuit – II. Malagueña – III. Habanera – IV. Feria
Voici l’intégralité de cette « Rapsodie Espagnole » par un orchestre dirigé par une femme, mexicaine née à New-York, ce qui est un double pied de nez à Mister T., et un hommage à la place des femmes en cette veille du 8 Mars :
Alondra de la Parra dirige ici le Queensland Symphony Orchestra (2019)


Le Tombeau de Couperin (1917)

Le Tombeau de Couperin est une suite pour piano en six mouvements, composée entre 1914 et 1917. Chaque mouvement est dédié à un ami de Ravel tombé pendant la Première Guerre mondiale. Malgré ce contexte funèbre, l’œuvre reste élégante et légère, rendant hommage au style des clavecinistes français du XVIIIᵉ siècle, en particulier François Couperin (qui fera l’objet de mon prochain article).

Version pour Piano
I. Prélude. Vif – II. Fugue. Allegro moderato – III. Forlane. Allegretto – IV. Rigaudon. Assez vif – V. Menuet. Allegro moderato – VI. Toccata. Vif
Par Samson François, Piano.

En 1919, Ravel a orchestré seulement quatre mouvements pour orchestre :
I. Prélude, vif – II. Forlane, allegretto – III. Menuet, allegro moderato – IV. Rigaudon, assez vif
Par Manuel Rosenthal · Orchestre de l’Opéra National de Paris


Rapsodie espagnole (1907)

Voici l’intégralité de cette « Rapsodie Espagnole » par un orchestre dirigé par une femme, mexicaine née à New-York, ce qui est un joli pied de nez à Mister T., et un hommage aux femmes en cette veille du 8 Mars :
Alondra de la Parra dirige ici le Queensland Symphony Orchestra