Il s’agit du mémoire que j’ai rédigé pour l’obtention de mon Diplôme Didactique Willems® en 2005.
Il présente une synthèse du livre le plus volumineux d’Edgar Willems :
« Le Rythme Musical – Rythme, Rythmique, Métrique ».
publié par la Presse Universitaire de France en 1954, réédité par les Éditions Pro Musica en 1976 (épuisé).
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Le Rythme Musical
Mémoire Didactique de Christophe Lazerges
24-10-2005
PLAN DU MÉMOIRE
PREMIÈRE PARTIE: LE RYTHME MUSICAL
- La notion de rythme
- Rythme, Mélodie, Harmonie
- Le rythme et l’être humain
- Du son au rythme musical : les qualités spécifiques du rythme musical
- Éléments agogiques, dynamiques et plastiques
- Définitions du rythme
B – Mouvement – Temps – Espace
- Le mouvement
- Temps et durée
- Le temps musical
- L’espace
- Les formes du rythme musical
Le rythme libre – Le rythme rythmique – Le rythme mesuré
II – Les sources d’inspiration du rythme
- Les mouvements non sonores des plantes
- Les mouvements des animaux
- Les mouvements humains : travail – danse
DEUXIÈME PARTIE : LE RYTHME DANS L’ÉDUCATION MUSICALE
I – L’initiation au rythme – La vie syncrétique
A – Les frappés et l’instinct rythmique
- Les étirements
- Les jeux de réaction
- Les coups rapides
- La reproduction et l’invention de motifs rythmiques
- Les nuances dynamiques
- Les nuances agogiques : vitesse, durée
- Les frappés des rythmes du langage
- Les graphimes
C – Le rythme musical et les mouvements corporels naturels
INTRODUCTION
Le rythme musical :
introduction à l’œuvre d’Edgar Willems.
Parmi tous les domaines de l’éducation musicale abordés par Edgar Willems, le rythme occupe une place singulière : contrairement à « L’oreille musicale », et surtout à « La valeur humaine de l’éducation musicale » pour lesquels son apport personnel a ouvert de nouvelles perspectives, sa contribution au domaine du rythme musical a d’abord été de rassembler et synthétiser tous les écrits et les pratiques concernant le sujet, donnant à son livre « Le rythme musical » une valeur d’étude scientifique de référence quasi exhaustive en 1976 (87 ouvrages cités, 417 auteur nommés). Pourtant Edgar Willems n’est pas un ‘théoricien’ du rythme. Son étude approfondie des sources du rythme lui a permis d’étayer, de nourrir et de vivifier une pratique pédagogique, et a donné naissance à une oeuvre à la fois dense et pragmatique qui permet aux éducateurs et aux musiciens d’aujourd’hui de s’épanouir dans leurs pratiques quotidienne en étant plus vivant et plus heureux, et de diffuser cette joie par leur rayonnement auprès de leurs élèves et auditeurs.
L’œuvre d’Edgar Willems est marquée par l’omniprésence de trilogies qui se reflètent mutuellement et s’interpénètrent. Une des contributions majeures de cet éminent pédagogue est d’avoir mis en relation avec clarté toutes ces trilogies pour éclairer les musiciens.
La nature humaine comprend à la fois un corps physique, un cœur sensible et une intelligence capable d’abstraction et d’analyse.
De son côté, la musique comprend à la fois du rythme, de la mélodie et de l’harmonie.
Le rapport entre les deux est : la vie physique, pour le corps et le rythme, la vie affective, pour le cœur et la mélodie, et la vie mentale pour l’intelligence et l’harmonie.
Dans ce contexte, traiter le thème du rythme musical ne peut se faire sans références constantes à ce qui l’entoure, le conditionne et le pénètre.
Edgar Willems a souvent présenté ses idées sous forme de schémas et de tableaux associant des éléments opposés et complémentaires, illustrant l’unité de la vie dans sa diversité.
Ainsi l’essentialisme est-il l’opposé et le complément de l’existentialisme, et pour le rythme musical, la nature du rythme, d’essence vivante, se distingue, voire s’oppose aux éléments formels de la musique et aux œuvres musicales.
Pour le suivre, nous traiterons ce sujet en deux parties :
I – Essentialiste : définitions et sources d’inspiration du rythme
II – Existentialiste : l’éducation rythmique
Le Rythme Musical – 1ère Partie
Définitions et sources d’inspiration du rythme musical
I – Définitions
A – Nature du Rythme
Nous distinguerons trois catégories essentiellement différentes.
Le Rythme, qui est une propulsion vitale actualisée, informant une matière plastique ou sonore. La Rythmique, qui est la science des formes rythmiques comprenant l’écriture et les règles du phrasé.
La Métrique, qui n’est qu’un simple moyen de mensuration.
1. La notion de Rythme
Le mot « rythme » vient du grec « rhuthmos », dont la racine est « rheô » qui veut dire « je coule ». Il avait donc primitivement trait au mouvement.
Le mouvement est tributaire à la fois de la vie et de la matière car ce sont les forces vitales qui propulsent la matière. Cette propulsion est pour ainsi dire l’expression déterminante de la vie, à l’image du « Big-bang » originel. C’est un archétype universel de nature cosmique, aussi présent et inexpliqué que l’origine de la vie.
Cette propulsion de force vitale se retrouve dans tous les règnes de la nature : mouvement des atomes dans le règne minéral, augmenté du mouvement des cellules et de la sève dans le règne végétal, augmenté du mouvement de déplacement dans le règne animal, augmenté enfin (?) du mouvement de la pensée dans le règne humain.
Tributaire à la fois de la Vie et de la Matière, le rythme est difficile à déterminer. Il convient donc de l’envisager en permanence sous sa triple réalité : l’élément vivant (artistique), la théorie (moyen d’en prendre conscience), et la conscience elle-même.
2. Rythme, Mélodie, Harmonie
Partant des deux pôle extrêmes, l’un matériel et l’autre spirituel, que sont la matière sonore (son et instrument) d’une part et l’esprit musical (inspiration et art) d’autre part, le Rythme, la Mélodie et l’Harmonie sont les éléments fondamentaux de la musique. Ces trois éléments s’interpénètrent et s’influencent mutuellement et forment, en se complétant une synthèse harmonieuse mêlant trois faits dans des proportions différentes à l’image de l’épaisseur des traits dans le schéma suivant.
3. Le rythme et l’être humain
La synthèse musicale humaine peut seule nous livrer les clés d’une psychologie de la musique susceptible d’éclairer la réalité vivante de l’art musical ainsi que les sources vives de chacun de ses éléments comme le montre le schéma suivant.
C’est par la vie physiologique que le rythme apporte à la musique une contribution caractéristique.
Il n’en demeure pas moins que le rythme musical est un des éléments principaux de l’expression des sentiments. Si le mouvement n’est pas de nature affective, c’est cependant par des mouvements ou des changements de physionomie que l’être humain exprime la joie, la peine ou tout autre sentiment. Le rythme, très physique dans son mode d’expression reçoit l’empreinte de l’émotion. De la sorte, l’émotion, créant le beau mouvement, enrichit l’art.
C’est pourquoi on peut parler d’un rythme affectif.
Enfin, dès qu’il y a simultanéité, il y a conception mentale. La polyrythmie est donc le domaine privilégié du rythme mental.
4. Du son au rythme musical : les qualités propres au rythme musical
Filière génétique allant du son non rythmé au son rythmé puis au rythme musical :
- Son continu.
- Son avec interruption irrégulière.
- Son avec interruption régulière.
- Son avec variation de durée ayant un sens.
- Son tenu avec variation d’intensité.
- Son tenu avec variation de timbre.
- Combinaisons des rythmes 4. 5. et 6..
Le rythme devient musical à partir de 7., soit en combinant des variations de durée, d’intensité et de timbre. Mais sa réalisation commence par un choc sonore.
Pour l’analyse, l’aspect numérique, le nombre de chocs, est le plus évident et le plus élémentaire. S’y ajoutent aussitôt la durée, l’intensité et la plasticité, soit les nuances agogiques, dynamiques et corporelles (dont dépend le timbre).
5. Eléments agogiques, dynamiques et plastiques
Les éléments agogiques ont trait à la durée, au temps. Ce furent longtemps les seuls éléments pris en compte pour la conscience rythmique, mais ce n’est que l’aspect mental du problème : calcul numérique des syllabes (puis des chocs) puis différenciation des syllabes en courtes et longues de valeur relatives, enfin évaluation absolue des valeurs d’après un temps premier qui permit l’écriture proportionnelle (née vers le XII° siècle en Occident). Le tempo est un élément agogique puisqu’il est déterminé par la durée qui sépare les temps. Ce n’est que vers la fin du XVI° siècle qu’on a désigné les tempi par les termes « Andante », « Allegro », « Adagio »… indications chargeant de sentiments une durée vécue, et non abstraite. Si le quantitatif prime, seul le qualitatif permet d’accéder à l’art, car il exprime des états d’âme.
C’est vers la même période (XVI°s.) que furent introduites les indications d’intensité permettant une prise de conscience affective du rythme : p – f – pp – ff …
Les éléments dynamiques (du grec « dunamis » qui veut dire « force ») peuvent être classées en trois catégories :
a – l’intensité générale (douce, moyenne, forte.)
b – les nuances dynamiques (crescendo, décrescendo)
c – les accents divers (métriques, rythmiques, pathétiques…)
Indissociable de la durée, l’intensité exprime les émotions et les passions.
L’élément plastique du rythme a été longtemps négligé et l’on dispose de peu de formules et signes spéciaux dans l’écriture pour le prendre en compte et éveiller la conscience physiologique du rythme : . – > – ^ – …
L’émission du son, son articulation (legato, staccato et leurs dérivés) sont des éléments favorables à la plastique.
La plasticité évoque les attributs matériels des corps physiques : poids, volume, densité, élasticité, … Le timbre est ainsi lié à la nature plastique du rythme et donc permet l’éveil d’une conscience physiologique.
6. Définitions du Rythme
Edgar Willems cite Pascal : « Les définitions ne sont faites que pour distinguer les choses que l’on nomme et non pas pour en montrer la nature. »
Deux notions se disputent la première place dans l’histoire des définitions du rythme :
le mouvement et l’ordre.
Une majorité de définitions se groupe autour de la notion de mouvement.
L’artiste sait qu’il transmet à son œuvre une partie de sa propre vie qu’il exprime par le mouvement.
Le dessin est particulièrement régi par le mouvement. Dans les arts plastiques le mouvement est figé, fixé dans l’espace, mais virtuellement vivant. D’autre part, même les proportions spatiales prennent une valeur dans le temps par la durée que l’œil met à les parcourir. En réalité, l’espace est plus étroitement lié au temps qu’il y paraît au premier abord.
Dualité mouvement – ordre
Dans cette dualité, le mouvement représente la propulsion vitale et le rythme libre, près de la nature et de l’organisme humain ; l’ordre, l’ordonnance ou l’organisation représentent la limitation qui canalise la vie. On peut représenter symétriquement les deux pôles opposés, les extrêmes étant à égale distance d’un centre représentant le rythme idéal, le plus rythmé, ni trop libre, ni trop régulier, alliant la force à la grâce, la rigidité à la souplesse.
Après le mouvement, c’est le principe d’ordre, d’ordonnance, de proportion, d’organisation, qui rallie le plus de suffrages.
Définition de Platon : « Le rythme est l’ordonnance du mouvement. »
Définition d’Aristoxène : « Le rythme est ordre dans la répartition des durées. »
Définition de V. d’Indy : « L’ordre et la proportion dans l’espace et le temps, telle est la définition du rythme. »
Définition de W. Howard : « Le rythme dans le beau sens original est ordonnance du temps. »
Pour Edgar Willems : « Le rythme, qui est à la fois dans l’homme et hors de l’homme un besoin spirituel et une nécessité matérielle, est le premier des trois éléments fondamentaux de la musique. Sans rythme il n’y a pas de mélodie ni d’harmonie. Dans son principe même, il est un élément prémusical, comme le son ; il existe en dehors de la musique, où il représente, comme dans les autres arts et dans les phénomènes de la nature, la première manifestation de la vie ».
Il relie les deux notions dans cette formule : « La vie crée le rythme en créant le mouvement et en l’organisant ». Puis il insert entre ces deux concepts celui de la relativité, indispensable à l’art. Ce qui l’amène à la définition suivante :
« Le rythme est une relativité entre le mouvement et l’ordre. »
C’est la valeur relative des notions de mouvement et d’ordre qui permet l’unicité artistique.
« Toute œuvre d’art, tout rythme de même, ont leur valeur première dans ce qui fait leur homogénéité : la beauté. C’est elle qui doit régir les rapports réciproques des divers éléments. »
Et rejoignant la pensée de Saint Augustin : « Le rythme est un beau mouvement ».
B – Mouvement – Temps – Espace
1. Le mouvement
La raison d’être, la nature profonde du mouvement nous échappe. Edgar Willems cite les divers courants philosophiques qui ont tenté de définir le mouvement. Il semble approuver la remarque d’un physicien genevois, Raoul Piquet, qui écrivait en 1896 : « l’esprit est une cause première de mouvement de la matière … l’esprit ayant pour définition en physique expérimentale : toute cause de mouvement spontané de la matière, sans explication mécanique possible ». Nous retrouvons là une constante de l’œuvre de Willems : distinguer la nature des éléments considérés par des frontières perméables. Ainsi le mouvement est défini comme la mobilité de la matière, mais la source de la mobilité est de nature immatérielle, spirituelle ! La force de l’esprit qui se retrouve dans la pensée et dans l’imagination (motrice, pour le rythme) est de première importance pour l’éducateur.
« Par le mouvement, nous prenons conscience de l’espace et du temps et donc des rythmes les plus divers. Dans la musique, l’imagination motrice prendra souvent la place des mouvements réels, créant ainsi – comme dans la création ou la lecture des œuvres – un lien indissoluble entre la matière et l’esprit ».
« Dans la pratique musicale, le mouvement corporel en général (respiration, marche, etc…) vivifie le rythme, non pas de façon nécessairement directe, mais indirectement en favorisant la circulation du sang qui, par l’équilibre physiologique qu’elle crée, par la vitalité qu’elle augmente, stimule l’expression rythmique générale ».
Mais «la vigueur spirituelle du rythme dépend de notre attitude envers la vie ».
2. Le temps et la durée
La musique est l’art du temps, à cause du rythme. Mais il est impossible de prendre conscience du temps proprement dit. Ce n’est que par la durée qu’on peut saisir un aspect du temps. Et cette durée, qui peut être évaluée par l’horloge et exprimée par des valeurs mathématiques, peut être vécue plus immédiatement, à la fois, instinctivement et consciemment, par les mouvements corporels. Citant Saint Augustin : « Le monde est né en même temps que le temps, puisque le mouvement a été créé avec le monde ».
Le temps est fonction du mouvement ; il s’écoule de façon imperturbable ; il est irréversible. E. Willems distingue quatre espèces de temps :
a) Le temps physique: astronomique, mathématique, quantitatif et mesurable, chronométrique. C’est un temps « horaire ».
b) Le temps physiologique implique une participation active à l’écoulement du temps. Participation consciente ou inconsciente.
c) Le temps affectif : influence des états affectifs de l’être humain sur sa conscience de l’écoulement du temps : l’impatience l’allonge, le bonheur tend à le raccourcir, à l’abolir même parfois. C’est le temps artistique par excellence. Il incarne l’idéal de beauté, sensible aux lois de l’âme et du corps.
d) Le temps mental : intellectuel, abstrait. Concerne principalement les proportions d’une œuvre, dans sa construction, son architecture. Il s’appuie sur le temps physique mais en diffère du fait qu’il peut être conçu en un seul instant. Par l’imagination motrice, basée sur l’expérience physiologique, il peut rejoindre la sensation de l’écoulement du temps.
3. Le temps musical
Willems oppose au temps « horaire » le temps « ontologique » qui regroupe les temps physiologique, affectif et mental par ce qui les réunit : temps psychique, vécu, opposé au temps chronométrique. Dans ce temps ontologique, le compositeur, l’interprète, le lecteur ou l’auditeur sont actifs musicalement parlants. C’est un temps complexe, variable, riche de toute la matérialité et de toute la spiritualité humaine. Il comporte le sens vécu de la proportionnalité, de la vitesse et de la durée.
Ce temps musical est donc un ensemble de divers temps humains vécus dans la musique.
4. L’espace
L’espace est de nature plus matérielle que le temps, lui-même plus spirituel. Mais la conscience de l’écoulement du temps ne peut, en principe, nous venir que par une espèce de transposition dans l’espace, par un mouvement corporel ou par l’imagination du temps nécessaire à sa réalisation.
Le son, fréquence vibratoire, se passe dans le temps ; par contre, l’intensité, qui dépend de l’amplitude de la vibration se déploie dans l’espace. Plus l’intensité rythmique est forte, plus elle suppose d’espace pour la réaliser.
Par les proportions des valeurs sonores, le rythme est temporel, par l’intensité il rejoint l’espace et par la plastique il devient matériel.
5. Les formes du rythme musical
Le rythme libre – Le rythme rythmique – Le rythme mesuré
- Le rythme est le mouvement ordonné.
- La rythmique est l’ordonnance du mouvement.
- La métrique est la mesure du mouvement.
Le rythme est dit libre quand il ne peut être fixé dans aucune forme, soumis à aucune unité, temps premier identifiable. C’est le rythme toujours inattendu, résultat d’une propulsion dont l’impulsion est aussi profonde qu’imprévisible. C’est celui des explosions du volcan en éruption, du tonnerre et de l’écho de son grondement, des explosions des fusées de feu d’artifice… Autant d’exemples à imiter, cherchant à reproduire par des chocs sonores les contrastes, les silences de l’attente, l’imprévu des explosions.
Le rythme devient rythmique dès que peut s’en dégager une pulsation régulière, ou un tempo, sans pour autant qu’on puisse mesurer des périodes régulières, marquées par un temps fort par exemple. On peut s’inspirer de chants d’oiseaux comme le moineau, dont le ‘tchip-tchip’ est à la fois régulier et imprévisible ; ou l’aboiement quasi ininterrompu d’un chien isolé, enfermé ; ou le flux et le reflux des vagues de la mer, dans certains cas, quand elle est calme, ou les petits cris flûtés des crapauds, etc. …
De rythmique, le rythme devient métrique si on peut le mesurer, regroupant en une période plusieurs temps ou pulsations. Comme la mensuration ne peut être réalisée que par l’intellect, le risque est grand de perdre alors les qualités dynamiques et surtout plastiques du rythme, au seul profit des valeurs agogiques, dont les proportions de durées sont elles-mêmes facilement quantifiables.
C’est pourquoi, il est aussi important de continuer de vivre corporellement, par des mouvements dans l’espace, le rythme mesuré.
II – les sources d’inspiration du rythme musical.
L’art ne commence qu’avec l’éveil de la conscience artistique, avec le besoin d’exprimer la beauté. Les sources auxquelles puise l’art, par contre, ont existé de tous temps : elles sont dans l’homme et dans la nature. L’art vrai est toujours près de la vie et ne diffère de celle-ci que par la volonté de créer de la beauté.
La musique s’est toujours rattachée au moins à deux sources importantes qui sont la danse et la parole, mais les musiciens subissent bien d’autres sortes d’influences, plus ou moins consciemment.
A – Les bruits
1. Les bruits de la nature
La contemplation des manifestations de la nature a pour toute âme un effet ennoblissant.
Certains bruits sont plus rythmiques, comme le tonnerre, les vagues de la mer. D’autres sont plus mélodiques, comme le vent, la pluie, le feu. Lignes rythmique et mélodique se confondent souvent et leur allure touche l’être dans sa totalité.
2. Les bruits des machines et des métiers
Plus que de rythme, il s’agit de métrique. Mais le rythme régulier peut avoir des effets incantatoires qui peuvent confiner à l’obsession, à l’envoûtement. Par exemple le rythme pendulaire de l’horloge, le tic-tac du moulin, celui des locomotives, du rouet et ceux plus compliqués et variés des métiers : forgerons, scieur, bûcheron, rameur, marins… De nombreux chants ont été créés, portés par le rythme d’un travail particulier, par la répétition d’un geste, d’un mouvement.
B – Les mouvements
1. Les mouvements non sonores des plantes
Le mouvement étant à la source du rythme, l’observation du mouvement des plantes, non sonores du fait de leur lenteur, peut influencer le subconscient du musicien : la rigidité ou la souplesse, l’expansion ou la contraction, les montées et les descentes des branches ; les vrilles et autres torsades.
2. Les mouvements des animaux
Les cris des insectes et des animaux, leurs démarches et allures, ont toujours inspiré le musicien : galop du cheval, marche de l’éléphant, dandinement du canard, sautillement et vol des oiseaux, vol des papillons, des insectes… Tous ces mouvements d’un rythme pur et franc parlent à l’imagination et emportent l’adhésion de notre dynamisme corporel.
3. Les mouvements humains – la danse
L’instinct créateur est influencé par le battement du cœur, la respiration, la marche. Mais la régularité de ces mouvements, souvent pendulaires, ne sont pas d’ordre métrique car ils sont toujours empreints d’un tempérament qu’ils révèlent. Voici quelques extraits de la gamme riche et variée des mouvement humains : le jeu (course, saut, balancement, élévation, chute, attaque…), l’amour (caresse, désir, mouvement des hanches…) le culte et la magie, les travaux (chasse, pêche, culture, habillement…), l’habitation, les bateaux, la guerre,…
Danse et musique ont de tous temps été liés par la nature profonde du rythme : sa corporéité. Mais la vraie danse est de la plastique pure. Elle peut exister par elle-même, sans musique. Par l’adjonction de la musique, elle s’accroît de tout ce qui peut pénétrer l’âme humaine par l’oreille. Pourtant, si la danse est la joie de se mouvoir et que la musique est celle de chanter, alors les deux arts ont comme source commune l’émotion et non le dynamisme. Le corps dans la danse et le rythme dans la musique seraient au même titre, le support nécessaire à l’extériorisation émotive.
C – Les Langages
1. Le chant des oiseaux
Le chant des oiseaux est d’une variété rythmique et mélodique infinie. Ils sont souvent très difficiles à isoler et encore plus à transcrire. Ils n’en ont pas moins été source d’inspiration des plus grands compositeurs, que cette influence fut consciente ou inconsciente. Traduire les chants d’oiseaux en phrases et interjection peut être un moyen de se les approprier et de nourrir notre inconscient de la fantaisie rythmique de ces « serviteurs de l’immatérielle joie », comme disait Olivier Messiaen.
2. Le langage et la poésie
La musique est un langage. Comme le langage parlé, elle prend naissance dans un besoin d’expression, de communication, en utilisant le son et le rythme. La prose et la prosodie ont un rythme libre, la psalmodie un rythme rythmique plus incantatoire. La poésie est un langage musicalisé, car elle donne plus d’importance au rythme et aux sonorités que le langage courant.
D – La musique
1. Les traditions
Au cours des âges, la création musicale des maîtres a été fécondée par le chant populaire, dont le rythme reflète souvent une spontanéité non brisée par les règles et les conventions.
Dans plus d’un pays des compositeurs, s’inspirant du folklore, ont fondé une musique nationale. Le plain-chant est caractérisé, comme la musique grecque, par un rythme libre, non mesuré.
Par là, il peut être un contrepoids puissant à la métrique et au matérialisme musical. Dans ce cas, il a eu une influence déterminante sur la musique moderne.
La musique exotique est aussi une source inépuisable de modèles et de vie rythmique.
2. Les exemples des maîtres
L’enseignement traditionnel est basé sur le culte et l’imitation des chefs d’œuvre des maîtres : eux – même nourris de tradition, enrichis au contact d’exemples musicaux impersonnels tels que le chant populaire, le plain-chant, la musique exotique, ils nous montrent dans leurs œuvres, des chemins possibles, de la vie à révéler, recréer.
3. Les instruments de musique
La musique provient-elle des instruments ?
Jusqu’à un certain point, la forme extérieure matérielle en dépend, mais non son essence spirituelle, qui provient d’un besoin d’expression dans le domaine de la beauté. Ce n’est donc pas l’instrument qui est à l’origine de la musique. Mais de même que la vie humaine est tributaire de la matière, la nature matérielle des instruments a une influence sur la musique, et les instruments peuvent être aussi considérés comme des sources d’inspiration pour les musiciens.
Le Rythme Musical – 2ème Partie
Le rythme dans l’Éducation Musicale
L’éducation musicale, pour rester la plus vivante possible, doit partir de la vie musicale elle- même comme sujet d’analyse et de prise de conscience, et permettre ainsi de vivifier une pratique musicale des œuvres du passé en laissant ouvertes les portes de l’invention et de la création musicale présente et future. Partir du tout pour revenir au tout, c’est le sujet de cette deuxième partie qui traitera successivement de l’initiation musicale, puis du solfège et enfin de l’instrument.
I – L’initiation du rythme – Vie syncrétique
Dans une leçon d’initiation musicale, le développement rythmique est la deuxième partie, après le développement auditif et vocal, et avant les chansons et les mouvements corporels naturels. Partant de la vie rythmique globale, syncrétique (synthèse inconsciente), exprimée par des étirements puis des chocs sonores, on détaille ensuite toutes les qualités du rythme isolément.
A – Les frappés et l’instinct rythmique
Dans un premier temps, il s’agit avec les élèves de révéler et déclencher leur vie rythmique par l’exemple donné par le professeur. Celui-ci doit avoir constamment à l’esprit que le rythme est mouvement, mouvement qui provoque un son par un choc, mouvement comprenant toujours trois phases (élans, choc et rebond), mouvement qui s’ordonne dans un contexte donné et qui doit servir la beauté. Beauté du geste, de la plastique, de la qualité de l’attention portée à l’ensemble, beauté du motif, déterminée non par le motif lui-même, mais par la qualité de la présence de celui qui le réalise.
1. Les étirements
Source de détente, ils sont à la fois une transition suivant le développement auditif et vocal, moins dynamiques, et une introduction au rythme plastique. Ils peuvent être sonorisés par des vocables ou des onomatopées. Pratiqués debout, de préférence, utilisant principalement les bras et les mains, mais également les jambes et les pieds, ils stimulent la circulation sanguine dans tout le corps et contribuent à une meilleure oxygénation du cerveau.
L’esprit est alors plus vif et plus réceptif à de nouvelles stimulations rythmiques (entre autres). Ces mouvements peuvent également être pratiqués en écoutant de grandes œuvres, de préférence symphoniques pour une plus large imprégnation aux timbres.
2. Les jeux de réactions
Destinés à provoquer l’attention et l’intérêt des élèves, sollicitant leur dynamisme corporel, ils consistent en frappés rapides de tout le groupe avec arrêt instantané à un signal donné : « Hop – Stop » ! De préférence mains alternées sur une table, à défaut sur les genoux ou avec les pieds.
3. Les coups rapides
Une succession plus ou moins régulière de chocs, telle est la première perception rationnelle d’un motif rythmique. C’est pourquoi la réalisation de ces chocs vient juste après le réveil des sens. Ecouter, reproduire, inventer des séries de coups rapides entretient l’intérêt, alimente et développe la mémoire et la précision, stimule la fantaisie. Le marteau sonore est l’instrument roi de la séquence, mais un tambourin, une timbale, un wood-block, des bâtonnets, ou simplement les mains frappées sur la table peuvent faire l’affaire.
4. La reproduction, l’invention de motifs rythmiques
Peuvent être présentés des rythmes de différentes natures : libre, rythmique ou métrique.
On n’insistera jamais assez sur l’importance de l’exemple vivant, de même que sur les diverses qualités du rythme à mettre en œuvre : vitesse, intensité, durée, et plastique !
C’est la diversité et le mélange des contrastes de tous ces éléments qui garantit de rester vivant. La reproduction d’un motif établit d’emblée une structure. Elle ne doit pas être systématique mais elle seule permet l’éducation et l’apprentissage. Suivant la caricature du poète Jacques Prévert, « Répétez ! dit le maître » permet de perfectionner un geste, la synchronisation des frappés avec la voix, de préciser une quantité de chocs, de fixer des images dans la mémoire.
5. Les nuances dynamiques
L’intensité est la plus affective des qualités du rythme. Quel enfant, devant un tambour, peut résister au désir de faire le plus de bruit possible ?! Et quel groupe d’enfant résiste à l’éclat de rire quand l’un d’entre eux frappe le plus fort possible sur la cymbale qui lui est tendue ?! C’est naturel puisque dynamique vient du grec «Dunamis» qui veut dire force. Or l’étalage de la force est un moyen de prouver son existence !
La dynamique est source de joie, et s’il importe de la canaliser, il ne faut cependant pas l’étouffer ! Or le bruit est souvent révélateur de désordre et de ce fait redouté par bien des professeurs. Canaliser le désir de bruit d’un enfant et d’une classe de musique est donc aussi important pour l’environnement de la classe que la maîtrise de son moyen d’expression pour un enfant. C’est une chose d’aimer faire du bruit (et braver un interdit), une autre de pouvoir jouer à volonté des contrastes entre le fort et le doux. Quand jouer fort est autorisé, sollicité, alors l’enjeu n’est plus de braver l’interdit et l’exploration des nuances dynamiques est possible.
Par des contrastes, comme toujours, opposer des motifs fort à d’autres plus doux, jouer sur le crescendo et le decrescendo et bien distinguer les rapports d’intensité des rapports de vitesse. Les accents marquant une série de coups réguliers préparent les accents de la métrique, mais placés de façon non périodique, ils contribuent à ancrer chez l’enfant le sens du tempo en ouvrant la porte du rythme dit rythmique, non mesuré.
6. Les nuances agogiques : la vitesse – la durée
a) Si le tempo est de nature agogique puisqu’il concerne la durée qui sépare chaque impulsion, ce qui le caractérise n’est pas la durée mais la vitesse. Vitesse et durée sont liées à l’écoulement du temps, mais la vitesse porte l’état d’âme dans lequel les durées évoluent.
En l’absence de sons longs, une succession rapprochée de sons courts s’apparentera à un tempo rapide. A l’inverse, si les sons courts sont séparés, espacés par des silences, ils pourront déterminer un tempo lent.
Le tempo est le reflet de l’état intérieur dans lequel on traverse le temps : joyeux, agité, (allegro, agitato) serein, jovial, préoccupé (andante), triste, sombre, méditatif, (adagio) etc… Les mouvements corporels sur la musique et en particulier la marche permettront d’en prendre conscience.
b) C’est toujours par l’opposition à son contraire qu’une notion peut se définir et s’appréhender. Dans la séquence des frappés rythmiques, facilement assimilée par des jeux opposant la rapidité et la lenteur, mais aussi par la progression de l’un à l’autre : l’accelerando et le rallentando. Les états d’âme associés peuvent aussi s’opposer : la joie et la tristesse, la légèreté et la lourdeur, la parade et la fuite …
Les différentes allures du cheval, les démarches d’animaux pourront toujours illustrer le sujet et ouvrir l’imagination.
c) Avec la numération des chocs (abordée avec les coups rapides), les différentes valeurs de durée sont la face visible de l’iceberg « Rythme », car elles permettent, quand elles sont proportionnées, l’écriture rythmique, basée sur le rapport du simple au double.
d) Distinguer la vitesse et la durée est souvent difficile, surtout pour les adultes. Il faut donc particulièrement en soigner la présentation.
Déjà, pendant la séquence de développement auditif avec les clochettes, insister sur les différences de durée des résonances. On est alors en dehors de toute idée de vitesse.
Pendant la séquence de frappés, jouer avec des sons longs ou courts associés à un fil invisible qu’on tire devant soi entre les deux mains. Sorti de tout contexte instrumental associant timbre, intensité et hauteur, le principe sera facilement assimilé. On pourra ensuite utiliser des crotales, triangle, cymbales, etc. … sans craindre des associations confuses.
7. Les frappés des rythmes du langage
Frapper de la main ou des doigts sur la table chaque syllabe prononcée, en veillant à la plus grande synchronisation possible, c’est mettre en évidence les qualités rythmiques du langage tout en donnant au rythme l’apparence du langage et favoriser l’invention rythmique en l’écartant des stéréotypes. Ne pas négliger la dynamique ni les variations de vitesse. Là encore, l’exemple du professeur est déterminant pour ne pas détourner l’exercice en caricature stérile.
8. Les graphismes
Caractéristiques du 2ème degré d’initiation musicale de la progression Willems, ils permettent à la fois une prise de conscience des éléments concernés dans leur diversité, et une préparation à la lecture et l’écriture musicale par des signes directement signifiants pour l’enfant parce que prolongeant naturellement la pratique du 1er degré.
Il y a trois graphismes liés au rythme :
– pour les coups rapides des traits verticaux │││ │││ ││ ││││ qui préfigurent les queues des notes de musique.
– pour les FORTS et les doux, des trais verticaux plus ou moins épais et foncés ││▐▐ ││▐ ou plus ou moins grands ı ı ı ı│ préfigurant les signes < et >.
– pour les courts et les longs, des traits horizontaux courts ou longs – – —— signifiant par la longueur du trait, l’espace parcouru pendant le temps qu’a duré le son.
Ces graphismes interviennent à une période de l’initiation musicale de l’enfant où l’on pourra aller plus loin dans les possibilités dynamiques et agogiques à réaliser.
Au contraste forts/doux s’adjoindra la notion de régularité, permettant de renforcer le sens du tempo, et les accents : ▐ │▐ │▐ │ … ▐ ││▐ ││▐ ││ … ▐ │││▐ │││▐ │││ … opposés à ││▐ ▐ ││▐ ││ ││▐ ││▐ ▐ ▐ … où les accents ne sont pas périodiques.
Au contraste courts/longs s’adjoindra la notion de proportion :
1 pour 2 : – – —– – – —– – – —– – – —–
1 pour 3 : – – – —–– – – – —–– – – – —–– – – – —––
1 pour 4 : – – – – —––––– – – – – —–––––– – – – —– – – – – —–––––
Opposés à – – – – —–—— – – – – – — —–———–—— – – – – ——–—— libre.
Relevons que le silence est représenté par des espaces vierges.
Au 3ème degré, c’est sur la proportion de 1 pour 2 que se fixera l’écriture des valeurs rythmiques de noire et de blanche puis de toutes les autres au cours du solfège.
B – le rythme et les chansons
Avec les chansons, la leçon d’initiation musicale retrouve la globalité de la musique puisqu’elles sont une synthèse entre du rythme (dont le texte est moteur), une mélodie et une harmonie (soit suggérée par la mélodie, soit réalisée par un instrument accompagnateur).
1. Les quatre modes rythmiques
- Le rythme : il correspond à toutes les notes du texte musical donc aux rapports de durée associées aux chocs de syllabes ou des sons. Le rythme est généralement composé d’une combinaison variée de sons courts et longs, non réguliers mais proportionnés. Dans la chanson, il s’identifie aux paroles du texte.
- Le tempo : élément régulier qui révèle la vitesse et le caractère du morceau. Quand on chante en marchant, le choc régulier des pas exprime le tempo.
- Le 1er temps de la mesure : issu du tempo, le temps fort marque les périodes plus grandes qui structurent le discours, de 1 à 5 voire 6 ou 7 temps. L’image des périodes les plus courantes (2 à 4) est donnée par la respiration humaine. Le tempo détermine la durée d’un temps d’inspiration, l’expiration se faisant sur les autres temps. C’est le 1er temps d’expiration qui détermine le 1er temps de la mesure.
- La division du temps : binaire ou ternaire, elle est le reflet de la pulsation cardiaque (ternaire au repos, binaire pendant l’effort). Pour la déterminer, il faut frapper le tempo puis le diviser en deux (tic-tac, tic-tac..) ou en trois (tic-tac-tac ; tic-tac-tac…) et retenir celui qui correspond le plus naturellement à la musique en question.
2. Les Frappés associés aux chansons
Les chansons ont le grand avantage de former un tout généralement court, porteur d’états d’âme, et d’une grande variété de l’une à l’autre. Elles offrent ainsi un outils pédagogique précieux tant pour l’intonation, la connaissance et la reconnaissance des intervalles, que pour le rythme. Mais on n’utilisera la chanson que quand elle aura été assimilée, c’est-à-dire sue par cœur avec les paroles, sans les paroles et transposée en vocalise.
On peut alors chanter les paroles en frappant le rythme puis le tempo (en 1er degré), puis le 1er temps de la mesure et la division du tempo (2ème degré). Dès que les quatre modes rythmiques sont réalisés distinctement, on peut associer deux, trois puis quatre modes simultanément en autant de groupes.
Dans le 3ème degré, pré-solfégique et pré-instrumental, on introduira peu à peu la polyrythmie individuelle, tout d’abord suivant les trois niveaux du corps : les pieds pour le temps marché, la tête pour le rythme chanté (avec les paroles) et les mains pour l’un des quatre modes rythmiques (en commençant par le rythme ou le tempo, renforçant la tête ou les jambes, puis le 1er temps et enfin la division). L’étape suivante de la polyrythmie individuelle est d’associer deux éléments à un même niveau : un à chaque main, puis les pieds…
Rythme + (Tempo ou Mesure ou Division) et ainsi de suite jusqu’à la polyrythmie à quatre parties : 1 mode par membre ! On peut même frapper un ostinato rythmique à la place du rythme, qui reste chanté… ce qui fait cinq éléments simultanés ! Mais ces prouesses seront davantage le sujet du solfège et de l’instrument.
C – Le rythme musical et les mouvements corporels naturels
Le mouvement étant le seul moyen de prendre conscience de l’écoulement du temps, c’est par des gestes, des frappés sonores concrets, vivants et plastiques que se sont incarnés tous les aspects du rythme au cours de la deuxième partie de la leçon d’initiation musicale.
Associés aux chansons, les frappés rythmiques restent une application pédagogique de second plan, par rapport au chant proprement dit, porteur de la mélodie, cœur et centre de la musique. Citons la juste formule d’Edgar Willems à ce propos :
« Dans la musique, le rythme a la priorité, mais la mélodie garde la primauté ».
Evoluer sur la musique et vivre ainsi globalement les contrastes d’atmosphères différentes permet, dans le plaisir, de nourrir la mémoire d’images de grande motricité que l’instrumentiste, plus tard réactivera dans sa motricité fine.
Ces mouvements basiques et nécessaires sont : la marche, la course, le sautillé, les sauts sur place, le balancement et les mouvements tournants (avec les bras). Ces six mouvements reflètent la vie de l’enfant et représentent des archétypes qui se retrouvent bien sûr dans la musique. Chacun de ces mouvements peut avoir des tempi et des caractères très variés, ce qui permet d’apprivoiser et d’exprimer autant d’états d’âme.
Ils sont d’autant plus importants que les enfants du XXI° siècle ont une motricité moins développée que dans le passé. Il n’est pas rare qu’un enfant ne sache pas sautiller… mouvement pourtant spontané de la joie et de l’insouciance (signe des temps ?).
Ces mouvements sont aussi destinés à réaliser globalement le sens du tempo par la synchronisation entre le choc des pieds et le tempo musical. Cette écoute audio motrice sera favorisée par la sonorisation et la mise en musique des pas de l’enfant invité à évoluer seul.
Dans le deuxième degré, on fera aussi compter les temps de la musique marchée, mais pas systématiquement pour conserver la priorité à l’atmosphère. Les battues de mesure seront introduites en partant du mouvement pendulaire de la mesure à deux temps.
Dans le troisième degré, on apprendra à battre toutes les mesures sur place puis peu à peu en marchant. Edgar Willems a composé de nombreuses pièces pour piano destinées à illustrer ces moments de mouvements. Elles sont rassemblées dans ses carnets pédagogiques n° IX et X.
II – Le solfège vivant
Entre la vie syncrétique et la synthèse consciente, il y a le temps de l’analyse au moyen de la théorie. C’est le sens du solfège. C’est le temps de l’apprentissage systématique de la lecture et de l’écriture pour acquérir des automatismes qui permettent de redonner vie aux signes abstraits sans être entravé par la théorie. C’est aussi le moment d’acquérir des outils d’analyse propres à comprendre et interpréter la musique de toutes les époques et de tous les styles. C’est enfin la possibilité de prendre un certain recul par rapport à une œuvre et d’élargir son champ visuel pour mieux la cerner et la servir, surtout pour l’instrumentiste.
A – La métrique
E. Jaques Dalcroze, cité par E. Willems, disait : « le rythme est un principe vital, la mesure un principe intellectuel » ; et « la métrique, créée par l’intellect, règle d’une façon mécanique la succession et l’ordre des éléments vitaux et leurs combinaisons, tandis que la rythmique assure l’intégralité des principes essentiels de la vie. La mesure relève de la réflexion et le rythme de l’intuition ».
La métrique doit être envisagée comme un cas particulier de la rythmique, elle-même cas particulier du rythme comme élan vital.
1. La mesure
Elle a son origine dans une tendance naturelle de l’être humain à prendre conscience intellectuellement d’éléments musicaux qui se déroulent dans le temps.
La mesure est caractérisée par trois éléments principaux :
- Le tempo, élément rythmique essentiel qui sert à exprimer l’état d’âme du morceau. Il est déterminé par le choix d’un temps premier dont la durée devient « unité de temps ».
- La mesure, unité supérieure, déterminée par le groupement d’un certain nombre de temps. Le premier temps est souvent un temps fort (mais pas toujours). Ce premier temps a donné lieu à la barre de mesure, caractéristique de la métrique occidentale.
- La subdivision des temps, donnant une unité plus petite que le tempo : la pulsation. Cette division est binaire ou ternaire.
2. La battue de mesure
Willems met en garde : « Il faut avant tout mettre l’enseignement de la mesure sous le signe du rythme, c’est-à-dire se baser sur le sens du mouvement corporel, qui permet de prendre conscience du temps qui s’écoule ». Or, battre la mesure est souvent le dernier retranchement du mouvement corporel dans un cours de solfège. Battre la mesure a un double intérêt : tout d’abord cela permet de figurer l’écoulement du temps par le mouvement continu du bras. C’est alors un fait plus physiologique et rythmique que métrique. Ensuite, cela permet de prendre conscience de l’organisation du rythme dans le temps par le calcul. C’est pourquoi, au geste souple de la battue, il faut ajouter le décompte des temps à haute voix, ce qui donne la clarté nécessaire à la lecture et à la dictée musicale, ceci pour l’élève débutant, en particulier. D’autre part, il est indispensable, pour acquérir la conscience de la mesure, de pratiquer l’improvisation rythmique en battant le mesure.
B – L’écriture et la lecture du rythme musical.
Une double difficulté est toujours présente : celle de canaliser le rythme dans des formules rigides, et celle, plus délicate encore de restituer à la formule écrite la vie dont elle a la garde. Ici le calcul est impuissant et doit céder la place à l’imagination motrice et à la sensibilité artistique.
1. L’écriture du rythme musical
L’écriture de la musique en général pose des problèmes différents de l’écriture du langage car elle ne peut se reposer sur aucun sens convenu. Une intonation différente, un accent déplacé et c’est l’ensemble qui prend un autre sens. La transcription des sons est donc plus risquée que celle des phonèmes. Cependant, l’histoire de l’écriture nous rappelle qu’elle était d’abord destinée à conserver la mémoire de textes transmis jusqu’alors par la tradition orale. La première écriture était une sorte d’aide-mémoire. Elle s’est lentement et progressivement complexifiée pour servir au plus près une restitution de l’oral.
Pour la mélodie, le problème était relativement simple puisqu’il ne s’agissait que d’indiquer des hauteurs relatives et l’écriture s’est peu à peu construite sur le système diatonique. Mais le rythme comprend principalement trois éléments simultanés qu’on ne peut réduire à un seul signe : la durée, l’intensité, et la plastique. Chacun de ces éléments fait écho aux qualités humaines différentes suivantes : mentale pour la durée (quantifiable), affective pour l’intensité, et physique pour la plastique.
L’écriture étant du domaine exclusif de l’intellect, c’est la durée qui a été privilégiée, laissant à la dynamique des annotations annexes (p / f / < / >) la plastique étant quasiment abandonnée à la libre appréciation de l’interprète.
L’apprentissage de l’écriture du rythme, commencé au cours du deuxième degré d’initiation musicale avec les trois graphiques déjà présentés, poursuivi au cours du troisième degré par l’introduction des valeurs de notes noires et blanches dans les proportions du simple au double ainsi que du silence de la noire, le soupir, se poursuit au cours du solfège avec l’introduction de la mesure et tous ses développements.
Alors le calcul prend une place plus importante, non pour la réalisation du rythme, mais pour l’organisation de l’écriture. Ainsi commencera-t-on par placer les barres de mesure dans une phrase rythmique écrite, à indiquer par des chiffres sous les valeurs des notes les numéros des temps correspondants, à choisir des combinaisons de valeurs susceptibles de « remplir » quantitativement une mesure donnée, partant des noires et des blanches et des silences correspondants, puis des rondes… L’évolution de l’écriture devra naturellement suivre celle de la lecture, dont elle est indissociable. Il ne faut pas négliger, pour un enfant, le temps assez long d’assimilation des signes et l’indispensable entraînement concret au graphisme lui-même, et se méfier du fait qu’un enfant qui comprend l’abstraction d’un phénomène croit l’avoir assimilé, alors qu’il ne l’a pas encore suffisamment éprouvé physiquement. La copie de modèles est très formatrice, en veillant par des corrections expliquées, à la qualité de l’écriture (lisibilité, proportion) pour qu’elle soit dès le début et pour longtemps un plaisir et non en pensum.
2. La lecture du rythme musical
Conséquence immédiate de l’écriture, la lecture, commencée également au cours des deuxième et troisième degrés d’initiation, peut et doit toujours avoir un sens musical. S’il est nécessaire de commencer par les valeurs simples de noire et de blanche et de les distinguer des valeurs d’intensité, de vitesse et de plastique, on peut cependant très rapidement tout associer avec des élèves bien préparées par l’initiation musicale Willems.
Il est alors naturel pour l’enfant de vivre le rythme par le mouvement et la dynamique.
Une même phrase de rythme pourra ainsi être réalisée successivement de plusieurs manières vivantes : avec des crescendo ou decrescendo, avec des accents, joués plastiquement sur un instrument (timbales, cymbales). La lecture d’une écriture bien proportionnée des valeurs de durée permettra à l’enfant de bien assimiler le fait que les espaces « vides » qui séparent les notes symbolisent du temps « plein » qui se déroule. C’est une abstraction plus grande que la hauteur des notes dans une portée, car elle rend proprement invisible ce que le mouvement corporel avait décrit dans l’espace et ce que les graphismes de ‘long’ et de ‘court’ avaient transmis sur le papier. C’est pourquoi il est si important d’associer aussi longtemps que nécessaire les deux signes : – — avant noire et blanche, et d’y revenir fréquemment.
L’erreur la plus répandue concernant la lecture du rythme est la confusion entre la notion de durée et celle de vitesse. Mais le problème apparaît généralement à l’introduction des valeurs de croches. En effet, jusque-là, la noire était la seule unité de temps prise en compte, et la croche est le premier symbole de la division du temps. Or il est beaucoup plus facile de passer du simple au double (principe d’addition et de multiplication) que du simple à sa moitié (principe de soustraction et de division).
Trois procédés concomitants résoudront le problème :
- la pratique des modes rythmiques frappés associés à des lectures simple : dire une phrase de rythme en frappant le tempo, puis le 1er temps, puis la division binaire, même si elle n’est pas écrite. Ensuite, frapper d’une main le rythme lu, et de l’autre l’un des trois modes rythmiques réguliers.
- Un motif ou une phrase de rythme de noires et de blanches exclusives étant écrites (au tableau), le souligner avec les graphismes ‘court’ et ‘long’ correspondants, puis au-dessus, établir que la blanche peut être choisie comme référence de son ‘court’, ce qui impose la ronde comme valeur de son ‘long’. Puis, en dessous, établir que la noire peut être choisie comme référence de son ‘long’. Cela impose une nouvelle valeur pour le son ‘court’ : la croche. Ce « monnayage » pratiqué régulièrement accrédite l’idée que les valeurs de note représentent des proportions de durée dont l’unité de temps -le son court- peut changer de graphisme, et non des rapports de vitesse.
- Lire une même phrase de rythme à différentes vitesses, partant de modéré, puis plus rapide, enfin et surtout, plus lente – voire très lente. On utilisera trois modes de diction « court-long » ; « noir’-blanch’ » et une onomatopée « ta-taa » ; « pam-paam »…
3. La progression
L’écriture et la lecture étant du domaine intellectuel, mental et analytique, ils doivent être introduits par les éléments les plus simples, la pratique globale de la musique ayant une confortable avance (vie rythmique, improvisation, modes rythmiques, polyrythmie, mouvements corporels…). Il est alors souvent difficile de maintenir des liens organiques entre cette vie globale, riche et complexe, active et gratifiante, et la pauvreté relative des seules valeurs de noire et blanche des débuts de l’écriture et de la lecture. Les chansons permettront de passer de l’une à l’autre : écrire le rythme d’une chanson bien assimilée (« A Paris » ; « Dans le bois », « Hé-hé, j’ai cassé », « Do-ré-mi, la perdrix »…), la voir écrite, la reconnaître d’après son seul rythme écrit, tout cela donne davantage de sens à l’écriture.
D’autre part, l’enfant n’est pas dupe : quand il est confronté à la réalisation de l’écriture et de la lecture, il se rend très bien compte que c’est difficile et ne se sent pas déshonoré par la simplicité des valeurs. Par contre, il est capital qu’il réussisse, sous peine d’avoir longtemps peur de l’écrit.
Voici l’ordre d’introduction des valeurs des notes :
- En troisième degré : noire, blanche et soupir.
- En 1ère année de solfège : ronde, pause, demi-pause, deux blanches liées, blanche liée à noire et blanche pointée, puis deux croches et quatre doubles-croches. Mesures à 2/4, 3/4 et 4/4 sans chiffrage.
- En 2ème année de solfège : croche/demi-soupir, noire liée à croche puis noire pointée, demi-soupir/croche.
Chiffrage des mesures à 2/4, 3/4, 4/4 et 5/4. - En 3ème année : croche/deux doubles, deux doubles/croche, croche pointée/double, double/croche pointée, triolet de croches.
Mesures à 3/8 et 6/8. - En 4ème année : contretemps et syncopes correspondant aux valeurs connues, croche/quatre doubles, croche/deux-doubles/croche, et leurs dérivés simples.
Mesure à 9/8 et 12/8. - En 5ème année : toutes les combinaisons binaires et ternaires jusqu’à la double-croche.
Enfin, il ne faut pas oublier que la lecture rythmique est l’élément moteur de la lecture mélodique. Elle doit donc être toujours en avance sur elle pour tirer le regard vers l’avant et entraîner dans son élan la prise en compte des hauteurs des notes. C’est pourquoi on sépare la lecture rythmique de la lecture mélodique.
C- La mémoire – La dictée
1. La mémoire
La mémoire comprend deux étapes : la rétention d’images dans le système nerveux, et la restitution de ces images sur commande par le cerveau.
La mémoire est sélective. On admet aujourd’hui que toutes les images envoyées par nos sens au cerveau peuvent potentiellement y être conservées, mais la profondeur de l’empreinte qu’elles imprimeront dépend du degré d’affectivité lié à l’image elle-même. Plus l’affect est grand, plus profonde est l’empreinte. La restitution sera également proportionnelle.
Il est donc important de favoriser la mémorisation avec l’adhésion et le plaisir de l’enfant, par sa participation active et largement corporelle pour que les signes écrits puissent réactiver la vie que l’empreinte aura laissée.
Pour le rythme s’ajoute la nécessité de développer l’imagination motrice qui devra en maintes occasions se substituer à la réalisation concrète d’un mouvement.
Or cette imagination ne va pas de soi. Il faut la provoquer par des moments de calme pendant lesquels on évoquera intérieurement les gestes, sensations et sentiments liés à un motif rythmique déterminé. L’imagination est une faculté mentale. Il est donc normal de la construire par l’analyse consciente des phénomènes vécus.
2. La dictée
Située au faîte des difficultés d’un cours de solfège, elle doit en être l’élément le plus facile : plus facile que les lectures, elles-mêmes plus faciles que les frappés rythmiques et tout le travail oral. Le but de la dictée est avant tout d’entraîner la transformation d’un rythme vivant et concret dans les signes abstraits de l’écriture. Elle prépare ainsi à l’invention et permet la composition.
Elle est ensuite un moyen de solliciter et développer la mémoire immédiate de motifs et de phrases. Elle est enfin un moyen de contrôle du niveau d’assimilation des rythmes étudiés consciemment. Pratiquement elle se déroule généralement ainsi (canevas de base). Elle comprendra au moins deux motifs, 4 suffisent, plus tard 8 et plus pour entraîner l’endurance de la concentration.
- La dictée est jouée entière. Les élèves en déterminent la mesure et le chiffrage. L’ayant entendue une fois, ils peuvent estimer les valeurs en présence.
- Les élèves préparent dans leur cahier le nombre de mesure nécessaires, pour favoriser l’écriture proportionnée des valeurs.
- Le premier motif est joué deux fois de suite pendant que les élèves écoutent en battant la mesure.
- Enchaînant la répétition du motif, les élèves reproduisent sur un vocable (pam, ta…) le motif et sa répétition sans cesser de battre la mesure.
- Ils poursuivent la reproduction, mais cette fois intérieurement pour en renforcer la mémorisation.
- Le motif étant mémorisé, ils peuvent éventuellement travailler à sa transcription en se repérant avec la battue de mesure. L’idéal est de n’écrire que ce dont on est sûr pour éviter d’être influencé par les signes déjà posés sur le papier.
- Le premier motif est rejoué une fois et enchaîné avec le motif suivant lui-même répété une fois, puis
- Enchaînant la répétition du deuxième motif, les élèves le reproduisent deux fois sans cesser de battre la mesure etc…. jusqu’à la fin de la dictée.
- La dictée est rejouée intégralement sans répétition pour permettre un contrôle d’ensemble de ce qui a été écrit.
Après cela, la dictée peut être utilisée comme une lecture en y adjoignant divers modes rythmiques frappés, divers tempi, la reproduction de mémoire, etc.
Si la dictée a été donnée sur les accords d’une cadence, on peut ensuite improviser mélodiquement sur ces accords en conservant le rythme donné, etc….
Il est évident qu’un tel procédé est exigeant et peut être difficile pour de nombreux élèves. C’est pourquoi il est capital que le niveau de la dictée soit facile pour tous. Comme toujours, suivant Edgar Willems, le fonctionnement est bien plus important que le résultat.
Quand le fonctionnement psychologique est juste, les résultats suivent sans tarder !
3. La reconnaissance des mesures et des tempi
Il faut aussi pouvoir reconnaître et chiffrer les mesures. Pour l’entraînement, le professeur improvise dans des mesures et tempi différents.
L’élève commencera par sentir et battre le tempo, puis repérer l’inspiration marquant la place du dernier temps et conséquemment celle du premier et déterminer le nombre de temps de la mesure. Le caractère pendulaire (2 temps), rotatoire (3 temps) ou narratif (4 et 5 temps) devra confirmer son choix. Ensuite, il recherchera la nature de la division, binaire ou ternaire, pour établir le chiffrage correspondant.
Enfin, se basant sur l’écoulement des secondes, il qualifiera les tempi : Andante pour 60, Allegro pour 120, et le reste relativement.
III – L’instrument
Si l’on excepte la voix, parce qu’elle se situe à l’intérieur du corps et par conséquent invisible et impalpable, tous les instruments de musique utilisent les mains et exigent la participation harmonieuse de l’ensemble du corps humain. Très nombreux même sont ceux qui utilisent aussi les doigts et sollicitent leur indépendance, jusqu’à l’organiste qui y ajoute l’indépendance et l’agilité des pieds.
Chaque instrument requiert une technique particulière, différente des autres dans le détail, avec des points communs par famille : cordes frottées, pincées, frappées, vents, cuivres, et les sous- groupes déterminés par le mode de production des vibrations sonores : biseau, embouchure, anches simple ou double, clavier, mailloches.
Pourtant aucun instrument ne « fait » de la musique tout seul ! Un instrument n’est qu’un objet,
de facture plus ou moins complexe, capable d’émettre des vibrations qui ne seront de la musique que si celui qui les produit en a prémédité le sens et qu’une oreille attentive les reçoit sans préjugé pour les conduire à un cerveau humain sensible, et en premier lieu celui de l’instrumentiste lui-même…
A – La préparation corporelle à la pratique d’un instrument.
Ainsi, tous les instruments sollicitent la motricité, le mouvement, initié par une impulsion rythmique. La plasticité est la première en cause. Or l’éducation de la plasticité commence au 1er degré d’éducation musicale dans la séquence des frappés, en particulier des mains sur la table : qualité de l’élan, précision de la synchronisation du choc avec la voix, donc avec la pensée conductrice, qualité du rebond, qui accompagne un son long ou se transforme en nouvel élan. Importance de la grande motricité, de la détente générale du corps qui permet de concentrer une énergie sur le vecteur de l’impact.
Vient ensuite le travail particulier de dynamisation du cerveau par la sollicitation équilibrée des deux hémisphères (l’hémisphère droit commandant le côté gauche et inversement). D’où l’intérêt des frappés avec les mains alternées, et aussi frappés d’une main, reproduits avec l’autre, enfin frappés des deux mains ensemble stimulant le corps entier, activant la circulation sanguine, augmentant le tonus nerveux et musculaire. Au cours du 2ème degré, on introduit la dissociation des mains, ou plus exactement d’après les psychomotriciens, la différenciation des mains, les deux étant sollicitées différemment dans l’unité d’une action.
Frappés réguliers d’une main auxquels s’ajoute l’autre de temps en temps, sur commande, etc…. Au cours du 3ème degré, les frappés simultanés des modes rythmiques, déjà évoqués chapitre B §1. contribuent à davantage de conscience dans cette différenciation d’abord à l’échelle du corps entier, puis peu à peu à l’échelle des doigts pour la motricité fine.
Celle-ci commence avec la dénomination et la numération anatomique des cinq doigts, qui précède le doigté instrumental. Les frappés de doigts sur la table complèteront les frappés de mains, recherchant la même harmonie entre détente de l’élan et tonicité des extrémités produisant des chocs, le geste partant toujours du dedans vers le dehors et non fixé par un résultat quantitatif de fréquence des coups.
Tous les gestes, mouvement pratiqués en grand, auront leur équivalent dans la motricité fine. Si l’image a été présentée, vécue et fixée dans la mémoire avec toute la plasticité requise, elle sera restituée telle quelle avec la motricité fine.
La pensée, l’esprit, doivent être à la source du mouvement, l’accompagner pendant sa réalisation et se recharger de l’énergie dépensée par la réceptivité ouverte à l’énergie elle-même.
B – L’interprétation vivante.
Après toutes ces considérations, faire de la musique à travers son instrument est l’enfance de l’art ! Mais il reste une difficulté à prendre en compte : il n’y a pas qu’une seule plasticité possible issue d’un même élan rythmique vivant. Et pourtant, l’auteur, le compositeur a eu généralement une pensée unique à la conception de son œuvre. Quelle garantie avons-nous de servir cette pensé et d’en recueillir tous les bienfaits ? Nous avons vu qu’il y a très peu d’indication graphiques et qu’elles sont de toutes façons très approximatives par rapport au geste physiologique qu’elles entendent influencer. Restent le bon sens du langage et de son articulation, césures et respiration et une connaissance des styles propres à chaque époque transmis par de nombreux traités et de non moins nombreuses lignées de maîtres et de disciples…
« Venue du cœur, puisse-t-elle retourner au cœur » disait Beethoven.
CONCLUSION
Edgar Willems a souvent laissé des portes ouvertes sur les découvertes à venir de la science et des musicologues. Véritable travail encyclopédique, scientifiquement mené sous des angles variés et complémentaires, son œuvre « le Rythme Musical » ne saurait avoir été résumée dans ces quelques pages.
En particulier, il accorde une grande place à la rythmique grecque, ayant été acteur de sa redécouverte au XX° siècle, dans sa jeunesse. Mais il en parle surtout pour dire qu’elle ne suffit pas à envisager la question du rythme dans toute sa dimension musicale et artistique. C’est pourquoi, par soucis de concision, j’ai préféré ne pas aborder le sujet dans le présent mémoire.
J’espère au moins n’avoir pas trahi sa pensée, dont le souffle bienfaisant a fait bouillonner mes neurones jusqu’à la pointe du stylo !
Reste la pratique, que la vie renouvelle à chaque instant, et qui permet au cadre méthodologique rigoureux proposé par Edgar Willems de n’être jamais un carcan mais une possibilité permanente de progrès personnel dans le travail joyeux avec les enfants, expérience que je vis chaque jour sans me lasser depuis presque 25 ans !
« Le Rythme Musical » d’Edgar WILLEMS
Mémoire Diplôme Didactique de Christophe LAZERGES – 2005