Le développement de l’oreille musicale et du chant dans l’éducation musicale Willems®
Mateja Tomac Calligaris – Mémoire Didactique Willems®
Voici le mémoire rédigé en 2023 pour son Diplôme Didactique Willems® par mon ancienne collègue Mateja Tomac-Calligaris. Elle avait rédigé son mémoire sur « Le développement de l’oreille musicale et du chant dans l’éducation musicale Willems®« . Elle a très aimablement accepté qu’il soit publié ici et ainsi mis à disposition des étudiants et amateurs de pédagogie musicale. Je l’en remercie beaucoup !
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Le développement de l’oreille musicale et du chant dans l’éducation musicale Willems®
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
L’oreille et la voix sont d’une extrême importance pour chaque personne, surtout pour celles qui s’occupent de la musique.

L’oreille a une place particulière parmi les cinq sens de l’être humain puisque le son est perçu directement, à distance, rapidement et qu’il a un fort impact sur l’homme. Du point de vue physiologique l’oreille reste assez mystérieuse et l’écoute n’est pas sa seule fonction.
L’oreille, comme organe qui transforme les vibrations acoustiques – à travers des mécanismes complexes – en sons dans le cerveau, est étroitement liée à la voix, le moyen d’expression primaire de l’être humain.

Willems était centré surtout sur les principes de base de l’éducation musicale.
Il défendait l’approche qui prend en considération l’être humain en sa totalité, c’est à dire ses dimensions physique, affective et mentale, faisant partie d’un tout comprenant un pôle matériel et un pôle spirituel. Cette trilogie correspond dans la musique au rythme, à la mélodie et à l’harmonie. La musique est l’art des sons ; le développement de l’oreille musicale et de l’expression musicale, surtout du chant, occupe la partie centrale de la pensée willemsienne. Le développement auditif permet au musicien de développer l’image intérieure du son, qui est la clé d’une véritable musicalité.
Je vais donc me concentrer dans la suite de ce mémoire sur les principes pédagogiques préconisés par Willems pour le développement de l’oreille musicale et du chant.
Mon activité principale est la gestion d’une école de musique qui couvre des domaines très riches et variés. Suite à mes nombreuses expériences dans ce champ de travail, je suis arrivée à la conviction qu’il est très important de ne jamais perdre de vue les bases du fonctionnement en musique – l’oreille musicale et le chant. C’est pourquoi j’ai choisi d’approfondir mes études de ce sujet pédagogique.
Je me limiterai surtout aux débuts de l’éducation musicale et je présenterai les principes élémentaires du travail pédagogique. J’ajouterai quelques expériences et regards personnels aux pensées de Willems. Mais tout d’abord je vais présenter le phénomène du son et le mécanisme de base de la perception du son chez l’homme.
LA VIBRATION ACOUSTIQUE ET LE SON
Le son est une sensation, qui est provoquée chez l’homme ou l’animal doté de l’ouïe, par la vibration de corps/choses matérielles. Quand la vibration, propagée dans l’air ou un autre corps élastique, atteint l’oreille humaine, le sens de l’ouïe, qui c’est relié au cerveau, crée en nous la sensation du son à l’aide d’un mécanisme complexe dont je parlerai brièvement plus tard. L’ondulation elle-même est un phénomène objectif, tandis que la sensation est subjective ; elle dépend de la constitution de l’organe auditif, des expériences sonores antérieures, de l’intérêt pour le son, des connexions neuronales, etc.
L’ondulation sonore est définie surtout par la fréquence et l’amplitude de la vibration. D’une manière brève et simplifiée nous pouvons dire, que la hauteur du son dépend de la fréquence, tandis que le volume sonore est conditionné par l’amplitude de l’onde. Le timbre du son quant à lui, est le résultat de la forme de l’onde sonore. Du point de vue de sa production, le timbre du son dépend de la construction et de la forme du corps qui émet les vibrations et de la manière par laquelle elles sont mises en mouvement, voire amplifiées ; ces conditions ont aussi un impact sur la durée du son.
L’oreille humaine capte les fréquences entre 16 et 20.000 Hz, mais d’une manière plus sensible entre 2.000 et 5.000 Hz ; en-dessous de la limite inférieure nous avons l’infrason, au-dessus de la limite supérieure nous parlons de l’ultrason. Les animaux de différentes espèces ont des rayons de perception de son différents.
Pour la musique nous utilisons les sons dans le cadre de fréquences entre 65 et 8276 Hz.
L’OREILLE COMME ORGANE PHYSIOLOGIQUE
L’oreille, organe destiné à la réception du son, joue un rôle important aussi dans le maintient de l’équilibre, la perception du corps dans l’espace et le maintient de la posture du corps. Elle est composée de 3 parties : l’oreille externe (1), moyenne (2) et interne (3).


L’oreille externe comprend le pavillon auriculaire (a), qui capte l’ondulation sonore, et le conduit auditif (b), dont la longueur est d’un peu plus de 2 cm et a fonction de résonateur. Le conduit auditif amplifie le mieux les sons des fréquences propres au langage humain. L’oreille externe est séparée de l’oreille moyenne par le tympan (c), une membrane fibreuse élastique, un tissu conjonctif.
Les trois osselets sont les plus petits os du corps humain.
Assemblés en chaîne comme un fléau, ils font partie de l’oreille moyenne : le marteau (e), l’enclume (f) et l’étrier (d). Sont attachés à eux les plus petits muscles du corps humain, qui – par leur contraction et décontraction – équilibrent le volume du son transmis, soit en l’amplifiant sous l’effet du fléau, soit en le réduisant en inhibant les muscles qui permettent leurs mouvements.
Le marteau est attaché au tympan tandis que l’étrier est fixé à la fenêtre ovale (h) de la cochlée (j), équivalent d’un tympan faisant partie de l’oreille interne. Dans la partie de l’oreille moyenne nous trouvons aussi la trompe d’Eustache, qui relie l’oreille à l’œsophage. Elle permet de réguler la pression de l’air de l’oreille moyenne.
L’oreille interne comprend l’organe auditif, la cochlée, tapissée de cellules ciliées, cellules nerveuses, et l’organe de l’équilibre avec les trois canaux semi-circulaires.
Ainsi, les 3 parties de l’oreille correspondent à 3 états de la vibration :
- elle se propage d’abord dans l’air, milieu gazeux, le pavillon jouant un premier rôle de concentration et d’amplification
- dans l’oreille moyenne, la vibration est transformée et amplifiée par le mouvement mécanique de la chaîne des osselets ;
- enfin cette impulsion mécanique se transmet au milieu liquide de l’oreille interne créant une vague dans la cochlée tapissée des cellules cillées dont l’ondulation plus ou moins forte crée un signal électrique que le nerf auditif transmet au cerveau.


Il est à noter que les cellules ciliées sont fragiles.
Si la vague est trop violente, elles risquent d’être endommagées, et ce de façon définitive, si le cerveau n’a pas commandé aux muscles de la chaîne des osselets de ne pas répercuter une onde trop forte. On trouve dans ce cas des pertes d’audition pour une utilisation inappropriée d’écouteurs collés aux oreilles…
Donc la vibration traverse le conduit auditif et arrive jusqu’au tympan, qui oscille. L’ondulation est transmise à la chaîne des osselets de l’oreille moyenne. Vu la composition de l’oreille moyenne, l’intensité de la vibration est largement amplifiée pour les fréquences entre 1 et 10 kHz. La force mécanique amplifiée est transformée dans les signaux électriques, suite au choc contre le liquide de la cochlée. Sur la membrane basilaire de celle-ci se situe l’ensemble des cellules, fondamentales pour notre préhension et l’analyse des vibrations, l’organe de Corti, du nom de son découvreur Alphonse Corti. Ces cellules ciliées sont des transducteurs mécano-électriques, qui transforment les mouvements des cils cellulaires en signaux électriques dans les cellules. Les signaux électriques traversent la cochlée et continuent leur chemin à travers le nerf auditif vers le cerveau, qui transforme enfin ce codage nerveux en une image appelée SON !
Ce n’est que dans le cerveau que le SON est produit et analysé.
Toutes les étapes antérieures ne véhiculent que des VIBRATIONS.
Il est très précieux pour l’éducateur musical de bien connaître ce fonctionnement physiologique de l’oreille, car il ne peut agir pour favoriser le développement auditif de ses élèves que sur le fonctionnement de l’oreille moyenne et sur le fonctionnement du cerveau dans son analyse du son.
En effet, la présence de muscles inervés liés à la chaîne des osselets signifie que le cerveau peut agir sur leur réactivité. Comment ? En focalisant l’attention, en « tendant l’oreille » !
L’éducateur agit alors en donnant envie à l’élève de tendre l’oreille, à s’intéresser au son, voire même à aimer le son musical…
LE DÉVELOPPEMENT DE L’OREILLE MUSICALE
Willems a beaucoup parlé de l’oreille et du développement auditif. Pour pouvoir exprimer pleinement la synthèse de sa pensée, il s’est servi de l’expression oreille musicale. L’oreille musicale permet à l’être humain la réception et la compréhension de la musique. Dans cette conception aussi nous pouvons rencontrer la trilogie, qui représente le fondement de la pensée willemsienne, c’est-à-dire : corps – émotions – pensée. À mon avis, la valeur inestimable de l’œuvre de Willems consiste dans l’identification de ces trois éléments constitutifs de l’être humain, physique, affectif et mental, établissant une corrélation avec les trois éléments constitutifs de la musique : le rythme, la mélodie et l’harmonie.
La vie physique et physiologique correspond à la vie rythmique ;
la vie affective correspond à la vie mélodique ;
et la vie mentale correspond à la vie harmonique.
Vie | Sensorielle | Affective | Mentale |
Musique | Rythme | Mélodie | Harmonie |
Dans sa conception de l’oreille musicale, Willems a uni l’oreille comme organe physiologique avec l’oreille “intérieure”, qui comprend toutes les fonctions mentales, reliées aux contenus musicaux dans notre mémoire. Avec ces fonctions mentales, le musicien peut créer des images auditives intérieures, qui sont la clé de la vraie musicalité.
Voilà une des citations les plus connues de Willems :
“Les mauvais musiciens n’entendent pas ce qu’ils jouent ; les moyens auraient pu entendre, mais n’écoutent pas ; ceux qui sont un peu meilleurs, entendent ce qu’ils avaient joué, mais seulement les bons musiciens entendent ce qu’ils vont jouer.”
(Bases psychologiques de l’éducation musicale, chapitre IX – Audition intérieure absolue et relative)
Est-ce que l’oreille musicale peut se développer, et si oui, comment ?
Cette question est essentielle pour chaque pédagogue musical.
Willems a établi ses principes pédagogiques sur la conviction que cela est tout à fait possible. À travers les expériences qu’il a accumulé toute sa vie, il a pu confirmer cette conviction – il en parle très largement dans ses œuvres. Comme je l’ai déjà mentionné, l’oreille n’est pas seulement l’organe sensoriel, mais comprend aussi les processus émotifs et mentaux, qui changent avec l’évolution de l’homme. Elle présente un grand potentiel, dont on peut profiter plus pleinement si nous sommes guidés par l’intérêt pour la musique, la sensibilité affective et l’intelligence.
On ne peut pas changer l’organe auditif, mais on peut grandement en améliorer le fonctionnement.
C’est tout le sens du « développement auditif ».
Willems dans ses œuvres explique que la capacité globale de l’écoute est conditionnée par trois capacités plus spécifiques : la réceptivité sensorielle auditive – perception physiologique du son à travers l’oreille ; la sensibilité auditive – la réaction émotionnelle à ce que l’on écoute ; et l’intelligence auditive – l’écoute analytique, consciente. Dans ce sens nous pouvons utiliser trois expressions : ouïr – écouter – entendre. Ces trois facultés sont évidemment entremêlées, mais chacune d’elles comporte ses propres qualités et potentiel de développement.
Le pédagogue musical doit savoir comment développer chaque domaine individuellement et aussi la capacité globale de l’écoute, affectée par d’autres données – caractéristiques personnelles, culture musicale, relation de la personne avec le son et la musique.
Willems dit que le musicien a une excellente capacité d’écoute quand il perçoit nettement les informations sonores, venues à lui de l’extérieur, quand il réagit à ces informations émotivement et quand il est capable de rendre conscient ce qu’il a entendu.
La réceptivité sensorielle auditive
La réceptivité sensorielle auditive nous permet d’établir le contact avec le son et les phénomènes sonores. C’est une faculté de l’oreille qui reconnaît et distingue différentes qualités du son – timbre, intensité, hauteur, mouvement sonore, harmoniques et ainsi de suite. La réceptivité sensorielle est notre moyen d’utiliser le matériel sonore avec la sensibilité et l’intelligence.
Dans son travail, Willems a clairement montré de façon empirique que la réceptivité sensorielle peut être améliorée. Par l’éducation nous pouvons encourager, conduire et développer le fonctionnement de l’organe auditif.
Dans le 4e chapitre de son livre « L’oreille musicale » Willems cite Comenius, qui disait déjà en 1640 :
“On ne trouve rien dans l’intelligence qui n’y soit arrivé par les sens…
L’élève doit apprendre à connaître les sons, qu’il apprenne surtout à utiliser ses sens…”
Les cinq sens humains (vue, ouïe, toucher, odorat et goût) sont ceux qui rendent possible à l’homme le contact avec le monde qui l’entoure. Chaque sens est un récepteur spécial à la surface du corps, exposé à différents impacts, venus de l’environnement, différents stimuli. Ce stimulus peut être le toucher, la lumière, le son, des substances chimiques à l’état liquide ou gazeux, etc. Nous avons un récepteur différent pour chacun de ces stimuli. Les sens représentent donc une liaison entre l’homme et son entourage. L’homme est capable de percevoir ce que ses sens lui permettent ; il y a beaucoup d’éléments objectifs qui restent en dehors de sa perception et bien sûr aussi de sa compréhension.
L’oreille est le récepteur du son chez l’homme et elle se développe complètement pendant la gestation, lorsque l’enfant reconnaît déjà distinctement différents sons et la voix des parents dans le ventre de la mère. Tout de suite après la naissance l’enfant prend part à l’ambiant sonore soit en écoutant soit en émettant ses propres sons et il évolue suivant les réactions de son entourage.
Willems a reconnu l’importance du développement de la réceptivité sensorielle dans la vie de tous les musiciens et y a consacré une grande partie de son travail. À son époque la réceptivité était la plupart du temps bien négligée dans l’éducation musicale. Même aujourd’hui elle n’a souvent pas la place qu’elle mériterait dans les écoles de musique ; on la prend comme quelque chose qui va de soi ou bien on cherche à compenser les capacités auditives avec le développement dans le domaine cognitif.
Très souvent par exemple les professeurs commencent à apprendre aux élèves à lire et à écrire la musique, sans que leurs élèves aient acquit une expérience auditive et vocale concrète du mouvement sonore et des différentes hauteurs des sons. Les élèves plus doués font heureusement souvent cette liaison eux-mêmes, tout à fait intuitivement. Ils lient les contenus des différents domaines de l’éducation musicale qui sont sensés travailler ensemble pour une compréhension correcte des éléments musicaux. Mais cela ne se produit pas toujours automatiquement, loin s’en faut, et dans les bases musicales apparaissent en conséquence des lacunes et des points faibles.
Pour encourager le développement auditif sensoriel, Willems nous a présenté un grand nombre d’excellentes directions et recommandations pour le travail avec les enfants.
Dès les premières leçons les enfants découvrent, imitent, comparent, valorisent et mettent en ordre différents sons, produits par les objets sonores et instruments divers. On cherche à toucher leur curiosité et à développer leur intérêt pour le son, voire l’amour du son. Dans son œuvre « L’oreille musicale » Willems a consacré beaucoup d’espace à la description précise des instruments et leurs utilisations, qui permettent déjà aux tout-petits l’acquisition d’expériences dans le domaine des timbres sonores, de l’intensité et surtout de la hauteur des sons et du mouvement sonore.
L’espace intratonal et le carillon intratonal
Ses propositions incluent différents objets sonores comme par exemple des cloches et des clochettes, des appeaux, des sifflets, des toupies chantantes et aussi des instruments spécifiques de haute valeur didactique comme la flûte à coulisse, la sirène, les tuyaux sonores, etc. Willems a exploré aussi l’espace intratonal, terme qu’il a créé – il était très innovant dans ce domaine. Il avait différentes collections de clochettes, y compris une collection de dix-sept clochettes qui étaient accordées en 1/16è de ton dans la distance d’un ton. Il a fabriqué un instrument spécial, l’audiomètre, avec lequel il a réussi à produire les micro-intervalles jusqu’au deux centième (1/200e) du ton.
Aujourd’hui nous utilisons dans nos leçons d’éducation musicale un « carillon intratonal », avec lequel nous pouvons jouer des micro-différences dans la hauteur des sons. Il est constitué de 24 plaques métalliques visuellement parfaitement identiques, qui sont accordées aux hauteurs du son différentes dans l’ambitus du G2 à C3.
Cet instrument est utilisé de diverses manières.
Au premier degré de l’initiation, il peut être employé pour réaliser des glissandos, illustrant ainsi le mouvement sonore ascendant et descendant parcourant cet espace intratonal.
Au deuxième degré, ce travail est approfondi : on peut fixer seulement quelques lames sur le boîtier auxiliaire de l’instrument, par exemple celles permettant d’exécuter des séquences diatoniques ou chromatiques. Pendant le jeu avec les enfants, on intervertit deux lames quand ils ferment les yeux, et ils doivent rétablir l’ordre initial, uniquement grâce à une écoute attentive. Ce principe pédagogique est appelé « pré-classement ».
Au troisième degré, dans la phase de « classement », les lames sont complètement mélangées, et les élèves les remettent collectivement, puis individuellement dans le bon ordre. Cette méthode est introduite en augmentant progressivement la difficulté en sélectionnant des lames formant des séquences micro-intervalliques de plus en plus réduites.
Willems a destiné une place importante au travail dans l’espace intratonal dans l’éducation musicale parce que la sensibilité de l’oreille dans ce domaine améliore non seulement l’intonation, mais aussi la capacité de perception des structures musicales verticales (accords, agrégats etc.). Il a ainsi établi diverses corrélations : celui qui peut percevoir un huitième du ton, peut distinguer aussi les deux sons d’un intervalle harmonique ; la perception des différences de la hauteur des tons pour un seizième du ton correspond à la capacité de distinguer les sons simultanément produits dans les accords de trois sons, etc. Il est aussi important d’aiguiser l’oreille dans le champ des structures musicales verticales – les élèves écoutent et chantent isolément les sons des intervalles harmoniques, des accords et des agrégats.
La réceptivité sensorielle auditive est sans doute importante en tant que moyen de reconnaissance du son, elle n’est toutefois pas la plus importante, puisque l’essence de l’art musical est ailleurs. Il est certain que la sensorialité auditive représente la base matérielle, à partir de laquelle se développent la sensibilité auditive et l’intelligence auditive. Il s’agit donc d’assurer au son la place qui lui appartient dans l’éducation musicale, en tant que poutre/support de l’action musicale. On retrouve là les trois états de l’être humain : sensorialité pour sa dimension physique, sensibilité pour sa dimension affective, et intelligence pour sa dimension mentale.
L’affectivité auditive
Avant de développer ce chapitre, il convient de définir ce que peut être l’affectivité dans la nature humaine.
Je dirai que c’est le siège de la sensibilité, des émotions et de l’humeur. Or tous ces éléments influencent l’homme en provoquant chez lui une réaction physique, en réaction à son environnement. Les psychologues aident leurs patients en contribuant à démêler les nœuds relationnels. Ce qui m’amène à associer l’affectivité avec les relations à autrui, et aussi à soi-même.
Dès lors, l’affectivité auditive commence à l’instant de notre réaction au son, qui induit une relation au son. Il est impossible de définir exactement toutes les nuances de sensations, provoquées en nous par le son que nous entendons – son timbre, sa hauteur, son intensité, sa durée et aussi bien sûr et surtout par les relations entre différents sons, leur répartition dans le temps, leurs hauteurs, leur durée et la vitesse de leurs enchaînements. Ajoutons à cet inventaire des combinaisons différentes des qualités personnelles de l’interprète de musique, de l’auditeur et du compositeur, leur état d’esprit, etc. – nous allons comprendre que l’affectivité est un domaine difficile à évaluer, un domaine subjectif, qui pourtant prend une place centrale dans l’art, touchant à l’âme humaine là où rien d’autre ne peut l’atteindre, particulièrement dans l’art musical.
Le cœur de l’affectivité est la mélodie, qui commence par les relations entre les sons, donc par l’intervalle. Les intervalles mélodiques portent en eux une charge émotive puissante. Willems l’a largement décrit dans la deuxième partie de son livre « L’oreille musicale ». Il a analysé les intervalles sous différents points de vue : du point de vue quantitatif d’abord, puis qualitatif. Dans une première approche il s’agit de différents degrés qui séparent les deux sons de l’intervalle ; dans la seconde il y va de la valeur affective de l’intervalle – consonance, dissonance… Un même intervalle peut avoir le mouvement ascendant ou descendant et ainsi obtenir deux qualités différentes. Il peut être positif ou négatif, par ex. l’intervalle ascendant SOL – DO en Sol majeur représente la relation entre un Ier et un IVème degré, potentiellement Tonique et Sous-Dominante, et on l’identifie comme Quarte positive. En Do majeur ce même intervalle représente la relation entre le Vème et le VIIIème degré, possiblement Dominante et Tonique, et est identifié comme Quarte négative (Quarte comme renversement de la Quinte).
L’intervalle a sa signification expressive, qui dépend aussi de la place qu’il occupe dans la gamme ou bien à l’intérieur de la mélodie ; la Quarte positive de l’exemple précédent signifie souvent le passage de la Tonique à la Sous-Dominante, c’est à dire que la tension s’intensifie et croît ; avec la Quarte négative par contre, c’est le contraire : nous arrivons de la Dominante pour tomber sur la Tonique, la tension se résout et se calme.
La connaissance et la reconnaissance des intervalles occupe une place de grande importance dans l’éducation musicale suivant les principes pédagogiques d’Edgar Willems. Pour travailler sur ce domaine Willems propose entre autres l’usage de chansons pour les intervalles. Ce sont des chansons qui commencent par un intervalle spécifique et leur propos didactique consiste à en offrir aux élèves la connaissance des relations entre les sons. Le développement du sens mélodique, qui a un rôle supérieur dans la musique, est encouragé dans l’éducation musicale par la répétition et l’invention de motifs mélodiques, la valorisation du potentiel expressif des intervalles, la connaissance approfondie des différents modes et gammes, par l’improvisation mélodique, qui représente un élément important de la vie intérieure, par l’audition de la littérature musicale et bien sûr par les chansons chantées et interprétées sur les instruments.
Surtout le chant des chansons est très important, puisque la chanson représente la synthèse d’un rythme, d’une mélodie, d’une harmonie (par leur accompagnement) et d’une histoire. Elles offrent beaucoup de possibilités pour travailler dans différents domaines de l’éducation musicale. Les chansons, que les élèves ont apprises et qu’ils connaissent bien, peuvent être chantées en vocalisant (sans les paroles) et transposées. Les deux démarches aident à développer la mémoire mélodique. L’imprégnation riche et variée est très importante.
Nous ne devons pas oublier la mélodie libre, mélodie qui naît en dehors de structures tonales mélodiques traditionnelles. Nous ne les trouverons pas seulement dans la nature, mais aussi dans l’art musical, surtout dans la musique contemporaine, qui cherche des nouvelles possibilités d‘expression (musique aléatoire, électronique, nouvelles techniques vocales et instrumentales…). La mélodie libre déplace d’une manière spéciale le point de gravité de l’art musical auquel nous sommes habitués ailleurs – c’est à dire qu’elle cherche les éléments d’expression en-dehors des structures du système tonal. Tous les éléments du langage musical, qui ne sont pas liés à la musique tonale, peuvent acquérir davantage de sens (timbre du son, durée, articulation, valeur expressive de l’intervalle en soi).
L’intelligence auditive
Là encore, il nous faut définir a minima ce qu’on entend par intelligence.
L’intelligence est l’ensemble des processus trouvés dans des systèmes, plus ou moins complexes, vivants ou non, qui permettent d’apprendre, de comprendre ou de s’adapter à des situations nouvelles. L’intelligence a été décrite comme une faculté d’adaptation (apprentissage pour s’adapter à l’environnement) ou au contraire, faculté de modifier l’environnement pour l’adapter à ses propres besoins. L’acquisition de la parole articulée et de l’écriture, qui aident au développement du raisonnement et de l’abstraction, font de l’intelligence humaine la référence par rapport aux autres règnes de la nature.
Plutôt que de parler d’intelligence, les psychologues préfèrent parler de fonctions supérieures définies de manière générique comme l’aptitude des individus à comprendre les relations qui existent entre différents éléments d’une situation et l’aptitude à s’y adapter afin d’atteindre ses propres objectifs.
Avoir de l’intelligence auditive veut dire se rendre compte de différents éléments de l’art musical – c’est d’une grande importance et indispensable même, si nous devons être conscients du fait que l’essence de l’art fuit constamment la conscience. Nous ne pouvons par exemple pas expliquer d’une manière rationnelle ce qui fait qu’une œuvre d’art soit qualifiée comme chef-d’œuvre. Nous pouvons cependant beaucoup dire d’un chef-d’œuvre et l’analyser, sa beauté et sa valeur expriment l’être humain dans son intégralité et reflètent le rapport de son auteur avec le monde, le rapport qui reste en grande partie incompréhensible ou inexplicable et mystérieux.
Dans l’éducation musicale, qui suit le principe : vie inconsciente / prise de conscience / vie consciente, ce passage qui mène de l’inconscient au conscient est justement le point le plus sensible du processus. La pensée peut effectivement mettre un obstacle à la spontanéité et au naturel d’un acte, surtout si on l’introduit trop tôt. La pensée n’est pas la première, elle vient plus tard ; la vie existe avant que la pensée réussisse à s’y introduire. Spontanéité veut dire agir sans avoir planifié, organisé, laissé que ça vienne tout seul – c’est comme ça que commence la vie. Le mouvement rythmique corporel vient directement de la vie, c’est la vie qui le fait naître et qui le façonne. Nous pouvons l’observer chez les animaux et aussi avec les petits enfants. La pensée s’aperçoit du mouvement, l’aide à devenir fonctionnel. Dans l’art un mouvement deviendra encore plus cohérent avec le contenu que l’artiste veut transmettre à l’aide de la pensée. Si la pensée fait son intrusion trop tôt ou d’une manière trop envahissante, le mouvement devient lourd et lent, artificiel, non plus lié à l’élan vital – cela peut arriver dans notre activité par exemple dans les mouvements, liés à la technique instrumentale.
Notre intention est donc que la pensée, la sensibilité et l’acte soient fusionnés dans une unité, qui rende possible l’expression de la dimension matérielle et spirituelle de l’art musical en une grande synthèse.
Il est très important que l’intelligence auditive, c’est-à-dire la faculté de dénomination, d’ordination et de compréhension des contenus musicaux entendus et ressentis, ne soit pas confondue avec la connaissance intellectuelle du monde musical. La vraie intelligence auditive nous permet de rendre conscientes la sensorialité et l’affectivité auditives ; c’est comme ça qu’ils deviennent deux éléments dont nous pouvons nous servir dans la pratique artistique, que ce soit l’interprétation ou la création. La lecture et l’écriture musicales, la connaissance théorique des règles harmoniques et de composition, etc., ne doivent pas être notre but en eux-mêmes, mais seulement des moyens de compréhension et d’expression de la pensée musicale ; ils doivent donc toujours être liés au son. Il est parfaitement possible de “connaître” un accord sans savoir comment est-ce qu’il sonne et sans y réagir affectivement. Il est aussi possible de composer de la musique à la base de certaines règles, une musique qui n’est pas l’expression de la vie intérieure de l’homme. Il est clair que cela n’a aucun lien avec le vrai art.
L’intelligence auditive comprend concrètement les capacités de comparaison, valorisation, création, associations, analyse, synthèse, mémoire et imagination créative.
Au plan rythmique le procédé de prise en conscience commence avec la dénomination des éléments rythmiques (court / long et leurs combinaisons), plus tard c’est la mesure, qui représente l’élément de la prise en conscience, elle mène de l’acte inconscient à la lecture et à l’écriture de la musique.
Au plan mélodique nous avons deux éléments d’extrême importance, que Willems traite largement dans ses ouvrages : les noms de notes et les degrés de la gamme. Bien sûr, nous commençons sur le plan mélodique avec la dénomination de différents éléments aussi, le mouvement sonore, par exemple (monte – descend), les intervalles, etc.
Le domaine de majeure expression de l’intelligence auditive, après la lecture et l’écriture, est l’harmonie, c’est-à-dire la composante verticale de la musique et la connaissance des relations entre les accords.
Comme disait Carl Eitz, un pédagogue allemand renommé, les noms de notes sont comme des petits crochets, qui nous aident à mémoriser les sons. Nous les introduisons très tôt dans l’éducation musicale – déjà dans le 1er degré de l’initiation comme des simples noms de sons, des onomatopées en somme. Ils sont introduits d’abord par les paroles de chansons, qui les contiennent, ensuite les paroles sont parfois remplacées par les noms de sons. Les chansons en degrés conjoints sont très utiles. À partir du 3ème degré d’initiation nous travaillons d’une manière dirigée sur l’association des sons et les noms des notes pour qu’elle devienne la plus parfaite et naturelle possible, puisque cela facilite beaucoup l’activité musicale. Grand nombre de principes de travail dans le 3ème et aussi bien sûr dans le 4ème degré est consacré justement à cet objectif. Nous chantons les noms de notes dans les gammes, le cycle de la gamme diatonique Majeure, des ordonnances diverses, chansons, improvisations. L’activité doit être constante et consciente, le professeur doit la conduire avec patience, parce que le processus est long. Nous intensifions peu à peu l’exigence du travail. Tout cela se fait oralement, sans écrire une note. Mais l’automatisation est aussi aidée, bien sûr, par la lecture avec les noms de notes et l’écriture (copie, transcription, transposition, dictée, auto-dictée, rédaction des propres inventions ou compositions des élèves).
Problématique de la solmisation latine comparée à l’alphabet musical
Willems a utilisé la solmisation latine pour son approche pédagogique.
Le 3ème degré ou préparation au solfège comme l’avait imaginé Willems ne peut donc pas être pratiqué avec l’usage de l’alphabet musical. Dans les milieux où l’alphabet musical est prédominant, il est nécessaire que les pédagogues trouvent le chemin approprié et introduisent dans leur travail l’alphabet musical au bon moment. À partir de mes expériences personnelles je peux dire que c’est réalisable, mais que cela ralentit le processus d’appropriation des noms de notes, comme le bilinguisme peut ralentir l’acquisition d’une langue maternelle.
Quand j’ai obtenu mon Diplôme pédagogique Willems® et ouvert mon école de musique en Slovénie, j’ai dû choisir la manière de nommer les sons que nous allions utiliser.
Car en Slovénie l’usage de l’alphabet musical est prédominant, même dans le chant. J’ai décidé finalement de me servir de la solmisation exclusivement pour l’initiation musicale et pour le passage dans le 4ème degré j’introduis l’alphabet musical. Ensuite j’utilise les deux systèmes parallèlement, à chaque leçon de solfège j’effleure les deux. La solmisation est utilisée régulièrement pour le chant et nous chantons avec l’alphabet souvent aussi quand nous lisons. Quand nous traitons la théorie musicale, je me sers exclusivement de l’alphabet, puisqu’il est plus pratique et plus clair.
J’ai constaté que les enfants qui au cours d’années apprennent à maîtriser les relations tonales en lectures, dictés et improvisation, n’ont aucune difficulté ni dans l’un ni dans l’autre système, même s’ils réagissent plus vite et mieux avec la solmisation. Les enfants qui ont des difficultés pour maîtriser les intervalles, degrés ou d’autres éléments mélodiques ont les mêmes problèmes dans les deux systèmes.
La solution n’est donc pas dans une ou l’autre dénomination mais dans un traitement approfondi des structures mélodiques du langage musical.Comme les noms de notes, les degrés aussi sont des symboles musicaux, mais ils trouvent leur place seulement un peu plus tard (depuis le 2ème degré), puisqu’ils sont plus abstraits. Willems nous a mis en garde de ne pas attribuer trop d’importance aux degrés au début de l’apprentissage du solfège.
La première association qu’il nous faut travailler étant : le son / le nom du son.
L’harmonie
Les accords et l’enchaînement des accords représentent le monde de l’harmonie, dans lequel l’intelligence auditive trouve sa plus forte expression. Les accords ont naturellement leur base matérielle et leur valeur sensible, mais la réalité des accords et de l’harmonie ne peut être englobée que par l’intelligence, puisque l’élément caractéristique de l’harmonie est la simultanéité, la synthèse, et que celle-ci présuppose l’analyse.
La synthèse et l’analyse sont essentiellement des fonctions mentales.
L’intelligence devrait toujours être liée avec la sensorialité et l’affectivité. Dans le cas contraire nous allons retomber dans l’enseignement théorique au lieu de s’occuper de l’éducation de l’oreille et de la musique. L’accord est donc, du point de vue sensoriel, l’ensemble de trois sons (minimum 3). Du point de vue affectif, il est l’ensemble de deux intervalles minimum dont on analysera les relations deux à deux, tandis que du point de vue intellectuel il représente une fonction mentale, sa dimension plus importante.
Cette fonction règle notamment les enchaînements des accords, et avec eux l’harmonie.
Auprès des musiciens de grande qualité il y a une quatrième dimension qui est exprimée, c’est l’intuition. L’intuition peut se trouver dans tous les domaines de la musique, mais elle trouve – telle une faculté humaine supra-mentale de la synthèse au plus haut niveau – son rôle crucial dans l’enchaînement des accords, l’harmonie et la composition. L’harmonie matérielle, représentée par la simultanéité des sons, atteint dans l’art – à travers l’intuition – le niveau spirituel dans l’intégralité, ou bien dans l’unité du rythme, de la mélodie et de l’harmonie.
LE DÉVELOPPEMENT DU CHANT
Avant de parler du chant, il convient de présenter le fonctionnement de l’organe phonatoire. Car sans entrer dans le détail de la vaste problématique de la technique vocale, il est important pour tout pédagogue musical de connaître a minima le fonctionnement des cordes vocales. En voici donc une description succincte.
Description simple du fonctionnement des cordes vocales
Les cordes vocales sont situées dans le larynx, à la hauteur de la gorge.
Ce sont deux bandes musculaires souples, tendues comme des élastiques.


Pendant la respiration normale, les cordes vocales sont ouvertes pour laisser passer l’air sans son. Pour produire des sons, les cordes vocales se rapprochent et se tendent. L’air des poumons passe entre elles et les fait vibrer.
Ce sont ces vibrations qui produisent un son brut. La tension, l’épaisseur et la vitesse de vibration modifient la hauteur (grave ou aigu) et le timbre du son. Ensuite, la bouche, la langue et les lèvres façonnent ce son brut pour former des mots, des sons précis et bien sûr un chant !
Vidéo des cordes vocales en action.
La relation entre l’oreille et la voix
L’oreille est l’élément de réception et de formation des informations qui se traduisent dans notre cerveau comme son. La voix représente l’expression humaine la plus importante tout en identifiant la personne, puisque chaque homme a une voix unique.
Lorsque nous parlons de l’oreille et de la voix, nous parlons donc de la réception du son et de l’expression à travers le son, de la base du langage musical et de l’art musical.
Willems cite Wagner dans la deuxième partie de ses bases psychologiques :
“Le chant, le chant et encore le chant. Le chant est une fois pour toutes le langage par lequel l’homme communique avec l’autre d’une manière musicale… L’instrument le plus ancien, le plus vrai et le plus beau est la voix humaine, c’est à elle que la musique doit son existence.”
Willems a mis bien en valeur l’importance du développement de l’oreille et de la voix dans la première éducation musicale. C’est seulement quand l’enfant aura appris à écouter et s’exprimer musicalement à travers la voix – en musique cela veut dire surtout à travers le chant – qu’il sera vraiment prêt à s’occuper du solfège et de l’instrument. À travers l’instrument, l’enfant peut alors s’exprimer différemment de ce qu’il peut exprimer par la voix. L’instrument est une extension de la voix humaine.
Quand nous travaillons dans le domaine de l’éducation musicale, nous souhaitons que l’enfant développe une voix naturelle, chaleureuse, juste dans l’intonation et d’une articulation précise, par laquelle il pourra exprimer sa vie musicale intérieure. Dans l’acte de chanter le corps entier participe. La posture et la respiration sont importantes – en expirant la voix passe à travers les cordes vocales, la cavité buccale et nasale, qui sont importantes pour l’articulation et la résonance (amplification) du son. Chaque changement dans l’espace agit sur la formation du son – soit de l’espace où le son rencontre à l’intérieur du corps soit de celui qui se trouve à l’extérieur. Un élément important pour le chant est le diaphragme, muscle qui sépare la partie abdominale (du système digestif) de la poitrine et des poumons ; c’est par lui que le flux d’air est réglé. Les cordes vocales sont situées dans la gorge. Ce sont deux plis fins, élastiques, couverts de mucus qui se trouvent en position horizontale. La hauteur du son, produit par les cordes vocales en vibration, provoquée par le passage de l’air, dépend de leur longueur et de leur épaisseur. Quand on parle ou chante, les cordes vocales sont tendues – c’est le résultat du travail des muscles qui règlent leur tension.
La voix a une part importante dans toutes les leçons dès le 1er degré d’initiation musicale. Le premier principe de la première partie de la leçon a pour but le développement auditif sensoriel et affectif, mais – j’ajoute : toujours en liaison avec le développement vocal – c’est l’écoute et la production du mouvement sonore panchromatique et diatonique. Pour une présentation claire et la création des associations utiles, nous nous servons des instruments, qui montrent le mouvement sonore aussi d’une manière visuelle – ce sont surtout la flûte à coulisse, le xylophone et le carillon. Nous utilisons en plus la sirène, qui a un son plus doux, plus rond, avec laquelle le mouvement sonore n’est plus visible. Les enfants écoutent et imitent les mouvements sonores avec leur voix. Il est important que l’attention de l’enfant soit toujours guidée vers l’écoute de l’instrument ou de la voix du professeur et de sa propre voix.
Les enfants inventent eux-aussi des mouvements sonores, explorent activement la hauteur du son, et en pratiquant toutes sortes de glissandi, élargissent leur tessiture vocale. Nous accompagnons notre chant avec la main, qui montre dans l’espace le mouvement sonore ascendant ou descendant, permettant de concrétiser visuellement les notions de montée et de descente. D’une manière similaire nous travaillons aussi dans le champ des sons graves, médium ou aigus isolés. Même si la hauteur du son est la plus importante, nous dirigeons lors des imitations l’attention de l’enfant aussi vers la durée et le timbre. L’enfant reconnaît en écoutant différents émetteurs et éléments du son qu’il imite avec sa voix, c’est comme ça qu’il apprend aussi à connaître sa propre voix et à l’utiliser.
En répétant et inventant des intervalles mélodiques, nous entrons dans le développement auditif affectif, dans lequel règnent les relations entre les sons. Ici aussi nous pouvons nous aider avec différents instruments (comme les coucous et appeaux divers). Pour l’imitation et invention des motifs mélodiques c’est la voix qui est au premier plan – chez le professeur comme chez l’élève. La répétition et l’invention sont pratiquées en groupe comme individuellement, dans une bonne proportion avec le sentiment de sécurité en groupe. La pratique d’ensemble rend possible une réalisation plus assurée et plus tranquille ; tandis que la vérification individuelle des enfants est aussi nécessaire pour pouvoir avancer dans la justesse de l’intonation individuelle, pour faire un beau legato et révéler la beauté de la voix de chacun. L’enfant participe aussi vocalement quand on utilise les tuyaux sonores – l’association de la force physique des muscles qui font tourner le tuyau et produisent les harmoniques aigus, et le chant de ces harmoniques est une expérience précieuse pour l’enfant. Nous établissons ce faisant un lien entre l’énergie investie et la hauteur du son qui est essentielle dans le chant.
La voix trouve sa place également dans la deuxième partie de la leçon, consacrée au développement du sens rythmique. Avec la voix nous amplifions souvent les battements des rythmes avec les mains sur la table où des mouvements du corps entier (sauts, tape des mains,..) – le plus souvent en utilisant les onomatopées. Nous pouvons quelquefois nous servir aussi des mots – nous réalisons alors le rythme du langage parlé en tapant avec les mains sur la table, puisque la langue parlée est une des sources importantes du rythme. De cette manière le lien entre l’oreille et le mouvement rythmique du corps est encore plus stimulé, la voix étant une amplification de l’effet sonore du corps en mouvement qui améliore la coordination entre l’oreille, le cerveau et le mouvement physique.
La voix prend le rôle central dans la troisième partie de la leçon, consacrée au chant des chansons. Les chansons sont extrêmement importantes pour la rencontre entre l’enfant et la musique, parce qu’elles représentent une expérience musicale complète, dans laquelle l’enfant peut participer activement comme interprète. Elles relient la mélodie, le rythme, l’harmonie et l’histoire dans une unité musicale en faisant induire et sentir à l’enfant la connexion et l’interdépendance des différents éléments musicaux.
Le choix des chansons que nous utilisons en travaillant avec les enfants doit être mené très soigneusement et professionnellement. C’est important parce que les chansons représentent un point fort, peut-être le plus important de l’imprégnation que nous offrons aux élèves. Elles doivent être adaptées et inspirantes tant du point de vue musical que pour leurs paroles. Nous devons savoir que le choix des chansons comprend aussi un aspect culturel, les chansons étant le reflet de notre histoire, notre langue, religion, manière de vivre. C’est pourquoi les chansons populaires ont un sens particulier. En utilisant les chansons étrangères avec lesquelles nous enrichissons notre répertoire, il faut faire attention à la traduction de qualité et conserver l’authenticité de la chanson, tenir compte de la prosodie, de la concordance entre les paroles, la phrase musicale et la rime. Nous sommes attentifs aussi à tous ces éléments quand nous choisissons les chansons d’auteur, puisque toutes ne sont pas de la même qualité. Il y en a aussi qui ont une valeur pédagogique – nous utilisons beaucoup les chansons de deux à cinq notes, qui ont un ambitus plus petit et sont très appropriées plus tard pour les débuts instrumentaux ; les chansons d’intervalles et d’accords ; chansons intéressantes pour leurs contenus rythmiques et chansons qui contiennent les noms de notes dans les paroles.
En pratiquant ces chansons nous faisons attention à un beau phrasé, une prononciation claire, une respiration naturelle, au légato et à l’articulation. Quand nous accompagnons les chansons avec les instruments rythmiques, nous ne devons pas retomber dans la syllabation, que nous entendons malheureusement souvent dans les crèches, maternelles et écoles.
L’enfant peut également participer avec sa voix dans la séquence du mouvement corporel naturel ; il peut par exemple chanter la mélodie des compositions que le professeur propose plusieurs fois comme point de départ pour le mouvement ou en chantant les chansons qui sont propices pour cette pratique. De cette façon l’enfant réalise le chant et les mouvements, qui sont coordonnés, il accorde la réalisation des modes rythmiques, par exemple : le rythme en chantant, le tempo en marchant, la mesure, la division ou un ostinato dans les mains. C’est comme cela qu’on installe les connections entre l’oreille, le corps dans le mouvement et le cerveau, tandis que du point de vue musical il s’agit d’associer les différents éléments dans un tout harmonieux, équilibré et artistique.
Dans le deuxième degré de l’initiation musicale l’enfant est déjà habitué à l’expression vocale à travers le chant. Il peut jusqu’à un certain point maîtriser sa voix, sait produire différents mouvements sonores, imiter différents instruments, répéter la hauteur d’un son isolé et inventer les sons de hauteurs différentes. Au plan rythmique il a acquis la relation basique entre le geste et le son et sait diriger son énergie physique dans la production des rythmes simples. Il connaît beaucoup de chansons et ressent la régularité ou bien la pulsation de la musique qu’il écoute, en pouvant accorder avec elle le mouvement de son corps. C’est pourquoi nous pouvons poursuivre en ajoutant progressivement aux éléments acquis les graphismes des contenus sonores et rythmiques, les noms de notes et d’autres contenus du 2ème degré. L’introduction du graphisme est toujours accompagnée par l’expression vocale, jusqu’à ce que nous soyons certains que l’enfant produit le graphisme à partir de l’audition intérieure.
CONCLUSION
L’audition intérieure, qui est tellement importante pour tous les musiciens et dont j’ai parlé au début, est formée justement à la base du chant, et celui-ci est lié avec l’oreille musicale bien développée. C’est pourquoi le chant a un très grand rôle tout au long de l’éducation musicale, même quand l’enfant, le 3ème degré terminé (la préparation au solfège et à l’instrument), entreprend le solfège vivant et l’apprentissage du jeu instrumental.
Willems a mis en évidence dans ses œuvres l’importance du chant, qui permet un contact vivant avec la musique en sa totalité. Le chant offre aux enfants une expérience musicale riche et active, liée au rythme, la mélodie et l’harmonie de la chanson. Par la chanson l’enfant, qui est en grande partie un être émotif, peut rencontrer différentes sensations et émotions, les individualiser à l’aide de la musique et les reconnaître en soi-même et ses compagnons. La voix est donc un moyen important de rencontre entre l’enfant et la musique dans toutes les trois dimensions – physiologique, affective et mentale. Elle est aussi un élément puissant d’association, prise de conscience et coordination des contenus, savoirs et savoir-faire en musique. Nous ne devons pas oublier que l’expression vocale et le chant doivent être liés à l’oreille musicalement élevée (éduquée) – c’est la seule garantie d’une base musicale réelle pour le développement d’un bon musicien, qui pourra entendre la musique et la réaliser avec une très haute qualité.
Sources : les œuvres d’Edgar Willems
Avec mes remerciements à Christophe Lazerges pour sa relecture et les traductions.